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mot clé «photojournalisme»

Pour le 10e anniversaire des attentats du 11.09, le Times Magazine publie : Revisiting 9/11 : Unpublished Photos by James Nachtwey. Un portfolio de 16 images accompagne l’article (je me réfère à la version en ligne sur Time LightBox). Le grand photographe de guerre se trouvait à New York ce jour-là et les photographies (argentiques) qu’il rapporta de son immersion sur les lieux ont été largement diffusées par la presse au point que certaines sont devenues des icônes. Selon Times Magazine, les images présentées aujourd’hui seraient « inédites » (never before seen photos from Ground Zero). Cela n’est pas tout à fait exact, car si certaines n’avaient réellement jamais été publiées, il s’agit surtout de doublons figurant sur le même rouleau de film.

Sur Google+, Max Hodges, lui-même photographe documentaire (documentary photograph), déplore les lourdes interventions opérées sur ces photographies dont il a retrouvé les versions publiées à l’époque. Et c’est vrai que les différences (de luminosité, de température de couleur, de contraste local) sont assez frappantes. Il détaille ensuite les règlements (pathétiques) sur la manipulation des images en vigueur chez AP et Reuters. Mais il est bien seul, Max Hodges, à protester de ces réinterprétations. Intervenant aussi sur BoingBoing, il ne suscite que peu de réactions. (Puis, dans une mise à jour de son billet, il adoucit un peu son propos.)

Passer la souris pour voir l’image de 2001

Le flux de production ordinaire des images de presse ne permet pas aux photographes d’intervenir sur le rendu de leurs images. Dans l’urgence des attentats, on imagine bien que ce fut le cas aussi en 2001. Les images auront été postproduites par un technicien surtout préoccupé par la précision des détails et un rendu des couleurs crédible. Presque la routine, quoi, n’était l’évènement exceptionnel. Dix ans plus tard, Nachtwey raconte dans l’interview qui accompagne son portfolio, qu’il n’avait jamais revu ses planches de contact de 2001. Il les avait en quelque sorte enfouies au plus profond de sa mémoire comme une horreur qu’on ne veut plus voir. Dans le blabla qui suit, on retrouve les poncifs habituels quant au « pouvoir des images » et autres « valeurs sociales de la communication ». Mais rien, hormis le terme « revisiting » du titre, ne nous informe précisément sur la réalité d’un travail de postproduction, de réinterprétation. Toujours les mêmes cachotteries. On ne prend peut-être pas les lecteurs pour des cons mais on fait « comme si » !

Je déplore toujours cette désinvolture des organes de presse, cela d’autant plus que la « revisite » de Nachtwey me réjouit énormément. Ce n’est pas rien que de constater que, celui qui est considéré comme le plus grand photographe de guerre en activité, s’adonne à ce « péché » consistant à retravailler les couleurs et les contrastes des ses images ! Si seulement il pouvait, en plus, le dire ouvertement. Dans le film War Photographer qui lui est consacré (Christian Frei, 2001) j’avais été frappé par une longue séquence où l’on voyait James Nachtwey et son tireur recommencer inlassablement un grand tirage papier, avec force maquillettes, frottages et autres bidouilles argentiques un peu aléatoires, jusqu’à l’accomplissement des volontés du maître. Je m’étais dit alors que Nachtwey serait bien aise de découvrir le numérique avec l’étendue et la facilité des traitements à postériori. Eh bien c’est fait, il a trouvé et il s’en sert ! J’espère que cela va finir par se savoir et qu’un exemple venu de si « haut » contribuera à désinhiber certains comportements et règlements timorés.

Le travail de « revisitation » de Nachtwey me semble plutôt bien réalisé, dans la mesure où il a cherché à construire l’expression d’une vision dramatique telle qu’il l’a ressentie, ou du moins telle qu’il s’en souvient. Pour moi, ce n’est pas du tout la même chose qu’une photographie soit retravaillée par son auteur ou par son éditeur. Certes, « il a mis le paquet », comme on dit. Mais ses nouvelles images en disent bien plus sur le drame auquel il a assisté que les froides images vues lors de leur première parution. Elles incarnent ici une véritable objectivation de la douleur. Il faut également prendre en compte que ce travail s’inscrit dans le contexte du vaste mouvement de commémoration auquel nous assistons ces jours en cherchant à donner un peu d’épaisseur à des images qui font partie des plus médiatisées de ces 10 dernières années.

Dans son billet, Max Hodges cherche à catégoriser les genres : Nachtwey est-il un artiste-photographe ou un photographe de presse ? Mais on s’en fout ! Il n’y plus guère qu’à Visa pour l’image qu’on cherche à nous faire croire en une sacrosainte objectivité de la photo de presse, qu’il n’y a pas de recherche d’effets visuels spectaculaires ou de mises en scène (à priori ou à postériori), bref, que les photographies de presse sont les témoignages froids d’une réalité intangible. L’honnêteté d’un photographe de presse ne se mesure pas sur l’échelle d’un règlement tatillon. Ce qui fait sa force, c’est son engagement, son ressenti face à un évènement. Qu’il traduise cela par les moyens visuels - quels qu’ils soient - à sa portée, me semble aller de soi. Bien sûr, il y aura toujours des gros maladroits poussant tous les curseurs à fond sans aucun discernement. Pour ceux-là, pas besoin de règlements qui encombrent tout le monde. Comme dans toutes les professions, ils se disqualifieront d’eux-mêmes par la piètre qualité de leur travail.

Si les grandes stars du photojournalisme se mettent à revisiter leurs images, je me demande ce que nous réserve le prochain palmarès du WorldPressPhoto...

Béat Brüsch, le 12 septembre 2011 à 23.51 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: photojournalisme , presse , retouche
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Les prix du World Press Photo 2011 ont été attribués vendredi 11 février. Le premier prix a été attribué à Jodi Bieber pour son portrait d’une jeune afghane dont le nez et les oreilles ont été coupés par des talibans parce qu’elle avait quitté son époux. Si vous n’étiez pas abonnés au Times qui a publié cette photo en août 2010, vous la trouverez aisément sur l’un des milliers de blogs et sites de news qui l’ont diffusée durant ce dernier week-end. Pour l’instant, il semble que les différents choix du jury ne font pas trop de vagues et que les polémiques passées sont apaisées. La disqualification de Stepan Rudik en 2010 a probablement servi d’avertissement sévère aux photographes tentés par une postproduction sortant des limites traditionnellement admises. [1]

Pour essayer de dépasser les lieux communs et les certitudes assénées en une seule phrase qui émaillent les commentaires de nombre de sites qui ont repris les résultats du WPP, on peut se poser quelques questions utiles, comme celles que formule Vincent Lavoie : ...« Mais que récompense-t-on exactement par l’attribution d’un prix du World Press Photo (WPP) ? Le photographe, l’image ou l’événement ? Si le photographe est le destinataire des honneurs, l’est-il pour son engagement éthique, sa probité journalistique ou son talent et ses habiletés esthétiques ? L’image est-elle primée en raison de sa valeur informative et testimoniale ou à cause de ses propriétés formelles et narratives ? Et l’événement, le retient-on pour sa valeur historique ou pour sa photogénie ? Les informations publiées sur le site de la fondation du WPP à l’attention des candidats sont bien laconiques sur la nature et l’objet du mérite. »... On trouvera un historique de l’émergence des « préceptes normatifs de l’image de presse » donnant quelques réponses à ce questionnement dans l’article de Vincent Lavoie paru dans la revue Études photographiques. [2]

Une des récompenses du jury m’a toutefois interpelé, du fait de sa nature volontairement polémique. (Quelques blogs anglophones s’en sont émus aussi.) Le photographe Michael Wolf a reçu une mention honorable pour son « travail » basé sur la collecte de photographies issues de Google Street Views. Michael Wolf est un photographe qui a déjà remporté 2 premiers prix du WPP avec de « vraies » photographies. Dans une interview au British Journal of Photography, il prétend que ces images sont « ses » photos, car il n’a pas fait de simples copies d’écran. Il a utilisé sa camera, montée sur un trépied, pour cadrer le détail exact qu’il voulait. « Ces images n’appartiennent pas à Google, car je réinterprète Google. Je m’approprie Google. Si vous considérez l’histoire de l’art, il y a une longue histoire de l’‹appropriation. » En effet, l’art d’appropriation (appropriation art) n’a pas fini de susciter de vives polémiques. [3] Il semble d’ailleurs que le souhait de Michael Wolf soit justement de provoquer une controverse autour de ces images. Cela ne devrait pas manquer.

Wolf n’est pas le premier à réunir des images insolites pêchées par les caméras automatiques de Google Street Views. Si vous ou moi publions ce genre de collecte, cela ressortira du domaine du signalement. Mais, que cela plaise ou non, si c’est le fait d’un photographe reconnu, cela change la donne. Surtout si le jury du WPP - qu’on a déjà vu plus frileux - se pique au jeu ! Je crains malheureusement que le débat ne se cantonne aux thématiques de l’art de l’appropriation, alors que l’occasion est trop belle de parler, plus généralement, du déluge d’images de toutes natures qui circulent sur nos réseaux, de ce que nous en faisons et de leur influence sur les images diffusée par les canaux traditionnels. Comment contextualiser des images issues de caméras automatiques (j’allais dire aveugles !) ? Après les images des « journalistes-citoyens » munis de téléphones portables, l’iconographie issue des caméras de surveillance peut-elle concurrencer le travail des photojournalistes ? Quels sont l’intérêt et la légitimité de ces images en tant que documents ? La sérendipité présente-t-elle un quelconque intérêt pour des recherches journalistiques ? L’intérêt du travail de Wolf ne serait-il pas de réhabiliter le travail du journaliste en mettant le doigt sur les lacunes de ces images automatiques ?

Google Street View, la prolifération des caméras de surveillance, mais aussi d’autres applications qui, j’en suis sûr, sont en train de germer dans les cerveaux de nos géniaux contemporains, alimentent des flux d’images gigantesques. Les quantités d’images ainsi produites dépassent de loin les capacités d’analyse humaines et devront être traitées par des filtres logiciels pour être valorisées. Il en va presque de même pour les images qui documentent nos petits faits quotidiens, qui remplissent les mémoires de nos appareils mobiles et qui font le gros du trafic des réseaux sociaux. Ces images ont une « valeur » limitée, par leur objet et par la durée de leur intérêt. La quantité d’images de cette nature produites par une seule personne au cours de sa vie deviendra rapidement ingérable sans une assistance logicielle. Ou sans l’usage de la poubelle virtuelle ! Nous vivons déjà, mais cela va s’accélérer, dans une pléthore d’images. Notre capacité à mobiliser notre intérêt pour un grand nombre d’images ayant tout de même des limites, notre appétit pour les images finira par se saturer. La valeur des images pourrait bien se révéler inversement proportionnelle à la quantité d’images produites/disponibles. Dans ce cadre, des images réfléchies et très contextualisées, comme celles produites par les photojournalistes - mais pas que par eux - devraient regagner une position privilégiée, pour leurs qualités documentaires ou testimoniales et pour les valeurs iconiques qu’elles véhiculent.

Notes:

[1] Extrait du règlement du WPP :
11. Le contenu de la photo ne doit pas être modifié. Seules sont autorisées les retouches conformes aux normes actuellement admises dans le domaine de la photographie. Le jury est l’arbitre final de ces normes et peut, à sa discrétion, exiger le fichier original et non retouché, tel qu’enregistré par l’appareil photo, ou un scan brut (non manipulé) du négatif ou de la diapositive.

[2] Le mérite photojournalistique : une incertitude critériologique - Vincent Lavoie in Etude photographiques No 20 - Juin 2007 - La trame des images/Histoires de l’illustration photographique. Lisible en ligne ici.

[3] Pour en savoir plus sur l’art de l’appropriation on consultera cette entrée de WorldLingo. Pour quelques débats, on verra aussi ici, ici ou ...

Béat Brüsch, le 14 février 2011 à 15.27 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: WorldPressPhoto , dispositif , photojournalisme
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Les images des manifestations actuelles en Égypte sont bien plus abondantes qu’elles ne le furent pour les évènements récents de Tunisie. [1] Pour la presse, il n’y a que l’embarras du choix. Plus besoin de puiser dans les archives ou dans des images à la périphérie des évènements pour ne donner qu’une version illustrative de l’actualité.

Le Courrier, quotidien indépendant de Suisse romande, publie une grande photo (de Keystone) en une de son édition du week-end. On y voit une manifestation dans laquelle on brandit des pancartes anti-Moubarak. La légende nous dit : « À l’heure où nous mettions sous presse, la contestation était encore massive dans les principales villes égyptiennes, malgré le couvre-feu nocturne décrété par le président Hosni Moubarak. Ce dernier a appelé l’armée à la rescousse. »

L’image pose quelques problèmes, car elle détonne par rapport à toutes celles qu’on peut voir ailleurs. Ici, les manifestants sont sagement rangés sous leurs banderoles et défilent pacifiquement. On dirait presque qu’ils sont « organisés ». De plus, leur physionomie ne ressemble pas à celle des Égyptiens qu’on s’habitue déjà à voir partout depuis quelques jours. Et pour cause... contrairement à ce que laisse entendre la légende et à ce que peuvent faire croire les textes en écriture arabe, nous ne sommes pas en Égypte, mais dans une manifestation qui s’est déroulée le 28 janvier à Istanbul. (Vous en doutez ? Une autre photo - de Reuters, celle-là - prise dans la même manifestation, est visible ici, au No 50)

Le Courrier nous a habitués - mais pas convaincus - à une utilisation des photographies pour le moins originale. Régulièrement décalées par rapport aux réalités textuelles, leurs images se rangent résolument dans le registre illustratif [2] sans qu’on sache toujours pourquoi, alors que la légende ne fait souvent qu’épaissir le mystère qui entoure ces choix éditoriaux. Est-ce par maladresse, par un besoin d’anticonformisme ou pour des raisons économiques qu’on nous propose régulièrement des photographies qui ont l’air d’être des deuxièmes choix ? Cette fois, on a visiblement opté pour un sujet qui correspond à l’imagerie du réalisme révolutionnaire tel qu’il se doit d’être véhiculé par un journal de gauche : tous rangés derrière la même bannière, les chefs devant et « à bas le dictateur ». Ce n’est malheureusement pas exactement ce qui se passe en Égypte. On en est même bien loin, car on constate dans tout le pays qu’il s’agit bien d’un mouvement spontané et inorganisé, issu d’un ras-le-bol grossièrement formulé. Montrer cela de la manière dont le fait cette couverture est juste ridicule et touche à la désinformation.

Le dispositif graphique de cette couverture, avec son titre, son image et sa légende s’affirme clairement comme une contribution de type documentaire, alors qu’en réalité, il est construit à la manière d’une illustration qui ne dit pas son nom. Cette ambiguïté mensongère, qui heureusement n’est pas reprise dans les pages intérieures, fait aujourd’hui passer Le Courrier pour une vulgaire feuille de boulevard.

Notes:

[1] Voir par exemple ces 2 billets sur Culture Visuelle :
- Egypte : de la révolution dans les images
- Suivre de loin la médiatisation en ligne des évènements Egyptiens.

[2] « Illustratif », au sens d’une image mise au service d’un discours, en opposition à une image documentaire. Selon les concepts développés dans ce billet.

Béat Brüsch, le 30 janvier 2011 à 12.33 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: dispositif , documentaire , illustration , photojournalisme , presse
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Belle image, irréelle et amusante, aujourd’hui sur le site d’Astronomy Picture of the Day. Juste comme ça pour l’été, pour le rêve, pour la légèreté, en passant. Mais juste comme ça en passant, cela ne m’empêche pas de remarquer que chez les astronomes, on ne publie pratiquement que des photos bidouillées et que cela ne pose jamais de problème. Toutes les manips, qu’elles soient dans le dispositif de prise de vue ou postproduites sont consciencieusement déclarées, expliquées. N’a-t-on jamais traité les astronomes de menteurs ?

Voir l’original et les explications ici.

Béat Brüsch, le 3 août 2010 à 13.06 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: photojournalisme , photomontage , presse , retouche
Commentaires: 2

Certains observateurs, au nombre desquels je me compte, ont noté que les photographies sont de plus en plus utilisées en tant qu’illustrations par la presse. Ce distinguo ouvre le champ de la photographie de presse à des pratiques habituellement réservées à d’autres disciplines photographiques. Cela ne va pas sans grincements, car les règles du jeu ne sont pas toujours connues et il arrive même qu’elles varient en cours de partie. Chaque nouvelle « affaire » nous arrache un soupir accablé qui se prolonge à la lecture des commentaires de certains blogs. L’incident de retouche qui défraie la chronique de ces derniers jours dans le monde anglophone ne dément pas cette impression de déjà vu. Nous avons, d’un côté, une presse qui prend certaines libertés avec la « sacro-sainte » vérité des photographies et de l’autre, des lecteurs qui, tels des vierges effarouchées, s’étranglent de dépit en se répandant en considérations naïves sur les trahisons des journalistes.

Il serait temps de clarifier le statut des images de presse à l’aune des pratiques récentes. On a dit et redit que les images ne représentent, au mieux, que ce que le contexte autorise. Le contexte n’est pas seulement constitué des éléments entourant la prise de vue, ses effets se poursuivent dans les conditions éditoriales. Il me semble que le public contemporain devrait être apte à comprendre qu’une photo illustrant une couverture de magazine est souvent à prendre comme une image servant en premier lieu à vendre ledit magazine. La profession journalistique est ici fautive de ne pas communiquer sur la différence entre images à caractère publicitaire et images au caractère documentaire incontestable. C’est le noeud du problème. La profession à trop longtemps - et jusqu’à l’usure - proclamé son objectivité. Forte de cette aura, elle ne peut plus maintenant nuancer cette affirmation. Elle y retrouverait pourtant une certaine crédibilité... si cela se peut encore.

L’affaire, donc... L’édition du 19 juin du magazine britannique The Economist présente, en couverture, une photo du Président Obama pensif, seul, sur une plage de Louisiane ensoleillée avec, à l’horizon, une plateforme pétrolière. Le journaliste du New York Times (NYT) Jeremy W. Peters a découvert la photo originale de Larry Downing (pour Reuters [1]) et en fait part sur son blog le 5 juillet. Sur cette image, on voit que le Président Obama n’était pas seul. Il était accompagné de Mme Charlotte Randolf, responsable d’une paroisse locale et de l’amiral Thad W. Allen des Coast Guard. Tous les deux ont été « éliminés » en postproduction, l’un par recadrage et l’autre par effacement. Rapidement, le blog du NYT fait une mise à jour en publiant un e-mail reçu de l’éditrice Emma Duncan, responsable de la parution de cette image au The Economist. Elle y affirme, en substance, que « Mme Charlotte Randolf a été effacée de l’image pour ne pas dérouter le spectateur par la présence d’une personne inconnue et que ce n’est pas la première fois que The Economist modifie des photos de couverture. Nous ne voulons pas tromper le lecteur. Nous voulions centrer le sujet sur M. Obama, mais pas dans le but de le montrer isolé. Le sujet de l’histoire n’est pas le dommage causé à M. Obama, mais au business des USA. » [2]

Petite nouveauté, cette fois : la rédaction fautive ne cherche pas à nier en s’enfonçant dans le ridicule comme l’avait fait ParisMatch avec les bourrelets présidentiels. Mais il faut dire aussi que la rédaction du The Economist s’est fait prier : sollicitée quelques jours avant la parution du billet sur le blog du NYT, elle n’a pas cru bon de réagir et ne s’est expliqué qu’une fois le billet paru. Les explications de Mme Emma Duncan sont maladroites et surtout incomplètes. À quand un exposé clair des considérations qui président à ces choix éditoriaux ? Pourquoi ne pas affirmer clairement qu’une image de couverture de magazine peut être fabriquée pour mieux porter une idée ? Le désir d’une image épurée est certes une très bonne raison pour opérer une retouche, mais dire que cela contribue aussi à mieux vendre - car une image simple, plus facile à décoder, est aussi plus vendeuse ! - serait un complément utile.

Comme on a déjà pu le remarquer, j’ai une conception assez libérale des pratiques de retouche. Celle dont nous parlons ici ne me choque pas plus que d’autres. Je pense que cette image de couverture est plutôt bonne et illustre bien l’idée d’un président fort préoccupé par le problème causé par cette gigantesque fuite de pétrole. Que la photo originale ait été différente ne me choque pas plus que cela. Ce qui me choque, c’est qu’on ne joue pas cartes sur table en ne nous disant pas tout sur le statut de cette image. Pourtant, The Economist n’en est pas à sa première couverture mettant en scène le Président Obama de façon illustrative, on en trouve plusieurs de ce type sur internet. Ces couvertures sont plutôt bien perçues, car en général, les éléments contenus dans l’image ne laissent aucun doute sur son aspect conceptuel. Souvent le président est replacé sur un fond non photographique. Avec le Golfe du Mexique, le fond était « trop beau » et l’ensemble correspondait parfaitement au concept voulu. On aurait pu le produire plus artificiellement, de manière à dénoter l’aspect fabriqué, mais cela aurait été moins efficace (tant du point de vue d’une « image-idée » que d’un point de vue « vendeur »).

Ne pas communiquer sur sa politique d’image et en particulier pour celles qui peuvent prêter à discussion, c’est infantiliser le lecteur. Il serait pourtant simple de mentionner - cela se fait dans certains magazines - une signature du genre « image réalisée avec trucage ». Plus généralement, on devrait pouvoir trouver dans l’impressum de chaque organe de presse une déclaration claire et complète de sa charte des images. Les organes de presse doivent cesser de se cacher derrière l’intangibilité d’une vérité photographique à laquelle plus personne ne croit. Il faut exposer aux lecteurs les contextes de parution des images. Ce double langage qui, d’un côté, prône tout un fatras de fausses vérités liées aux images, et de l’autre, est régulièrement pris en défaut dans la pratique est contreproductif. En entretenant ces déclarations de vérité, la presse rend tous ses dérapages encore bien plus insupportables.

Les commentaires sur le blog du NYT sont, à ce titre, exemplaires. Majoritairement contre cette retouche, beaucoup dénotent une forte déception, une vraie trahison de la part des journalistes. (Le fait que The Economist soit d’origine britannique, tout comme la société BP, ajoute une dimension au débat.) Comme souvent dans ce genre d’affaires on tombe sur quelques commentaires faisant le parallèle avec les trucages de photos staliniennes. C’est une sorte de point Godwin du domaine de la retouche photo ;-) Je rappelle à ces rescapés d’un autre âge que 1) les personnages supprimés des photos staliniennes l’étaient en général aussi physiquement, ce qui donne un certain vertige à ces retouches-là, et 2) que des ressources spécialisées [3] disposent d’un arsenal bien plus élaboré d’exemples et de propos sur la retouche.

Détail piquant : sur le blog du NYT, aucun commentateur, sauf un, ne s’est étonné de l’effet de téléobjectif faisant apparaitre une plateforme pétrolière comme très proche du rivage alors qu’en réalité elles en sont fort éloignées. Un commentateur relève qu’il s’est rendu des centaines de fois sur les côtes de Louisiane et n’y a jamais vu de plateformes pétrolières. Soit les gens connaissent bien cet effet optique et l’acceptent, soit ils pensent que les plateformes sont réellement tout près du rivage. Mais dans les deux cas, il faut reconnaitre qu’il s’agit d’une sérieuse déformation de la réalité. Et que de montrer le président Obama si proche d’une plateforme est peut-être tout aussi mensonger que de le montrer seul sur cette plage... À moins que les artifices dûment enregistrés par les appareils photo ne soient moins condamnables que ceux réalisés en postproduction ?

Notes:

[1] L’agence Reuters semble cette fois hors de cause. Échaudée par l’affaire Adnan Hadj en 2006, elle s’est depuis munie d’une charte sévère concernant les altérations des photos qu’elle diffuse. Ce qui ne l’a pas empêchée de se retrouver dans une mauvaise posture récemment, pour des retouches sur des photos prises lors de l’intervention sur le Mavi Marnara, le navire turc qui se dirigeait vers Gaza.

[2] Emma Duncan, deputy editor of The Economist, told us this about the cover in an e-mail message on Monday :

I was editing the paper the week we ran the image of President Obama with the oil rig in the background. Yes, Charlotte Randolph was edited out of the image (Admiral Allen was removed by the crop). We removed her not to make a political point, but because the presence of an unknown woman would have been puzzling to readers.

We often edit the photos we use on our covers, for one of two reasons. Sometimes — as with a cover we ran on March 27 on U.S. health care, with Mr. Obama with a bandage round his head — it’s an obvious joke. Sometimes — as with an image of President Chavez on May 15 on which we darkened the background, or with our “It’s time” cover endorsing Mr. Obama, from which the background was removed altogether — it is to bring out the central character. We don’t edit photos in order to mislead.

I asked for Ms. Randolph to be removed because I wanted readers to focus on Mr. Obama, not because I wanted to make him look isolated. That wasn’t the point of the story. “The damage beyond the spill” referred to on the cover, and examined in the cover leader, was the damage not to Mr. Obama, but to business in America.

[3] Voir par exemple :
sur Mots d’images le Petit observatoire de la retouche
sur Mots d’images avec le mot-clé retouche.
sur Culture Visuelle avec mot-clé retouche.

Béat Brüsch, le 8 juillet 2010 à 01.28 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: photojournalisme , retouche
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