Mots d'images

Il y a 6 billets répondant au
mot clé «illustration»

Depuis le temps que je n’ai plus rien écrit sur ce blogue, le monde des images continue sa ronde. Il y a eu, par exemple, les résultats du World Press Photo dont la presse et quelques blogues ont rendu compte sans que j’y apporte mon grain de sel. Les Prix suisses pour la photographie de presse ont, quant à eux, été décernés le 27 avril. C’est plus petit, plus intime, il y a moins à regarder, mais on y trouve aussi quelques perles.

Le « Swiss Press Photographer of the Year » de l’année est Mark Henley pour sa série « Bank On Us ». Suite à plusieurs « affaires », on parle beaucoup, en Suisse, des banques, de leurs secrets et de pratiques plus que douteuses. Il n’est donc pas très étonnant que l’on retrouve ce sujet parmi les travaux soumis. Le thème est difficile à imager et il n’est pas simple d’éviter les clichés. Les photographies noir/blanc de Mark Henley proposent une approche qui se démarque immédiatement des vues bien lustrées de l’univers bancaire. Le choix d’images présentées sur le site du « Swiss Press Award » nous indique clairement qu’elles se situent dans le registre illustratif. La chose est soulignée par le fait qu’on ne nous fournit même pas les légendes. Pour les photographies de personnes, une indication minimale avec les noms et fonctions des protagonistes serait pourtant bien utile, car tout le monde ne reconnaitra pas forcément les « huiles » du milieu, que l’on a ainsi portraiturées. Cela enlève un peu de sel à la présentation.

JPEG - 34.7 ko
© Mark Henley - Le petit format de cette reproduction ne permet pas de bien voir la pluie battante.

La photo du banquier courant sous la pluie constitue une bien jolie métaphore. Elle évoque irrésistiblement d’autres images, célèbres (mais il n’y a pas l’échelle ;-) Et qui nous dit qu’il s’agit bien d’un banquier et pas d’un commis voyageur ou d’un amoureux en retard à un rendez-vous galant ? Ah oui, c’est à la Paradeplatz. [1] Illustration que tout cela ! Allons-y pour un valeureux banquier qui « se mouille » pour ses clients. À moins qu’il ne coure se mettre bien à l’abri du ciel qui lui tombe sur la tête ?

Les oeuvres primées sont à voir ici, sur le site du « Swiss Press Award ». Ne manquez pas de consulter aussi les images non retenues en cliquant sur Toutes les images envoyées. Intéressant. On pourra se demander pourquoi l’image du monsieur qui trimbale deux attachés-cases n’a pas été primée. Est-ce qu’elle fait trop cliché ? Ou bien, le fait de donner à voir une photo de valises procure une « véridicité » insoutenable pour qui continue à défendre la pureté du secret bancaire ?

La visite du site de Mark Henley nous permet de dépasser la vue (forcément) sommaire des quelques photographies présentées pour le concours. On peut y voir, dans un diaporama, les 80 photos de cette série. Et là, c’est une tout autre histoire qui s’offre à nous. La vie des gens qui travaillent avec l’argent y prend un relief particulier. Le noir/blanc jette une lumière crue sur des personnages d’ordinaire discrets et effacés. Il semble même que l’absence de couleurs nous aide à mieux voir les zones d’ombre, un peu comme dans les films noirs où la suspicion s’installe dans chaque anfractuosité. Mark Henley est britannique, il a vécu ailleurs dans le monde et s’est posé en Suisse depuis quelques années. Par son regard neuf, mieux que de nous montrer d’hypothétiques coffres-forts, il nous fait voir le train-train grotesque des gnomes [2] qui s’agitent autour de la Paradeplatz. Derrière les masques lugubres, on distingue un triste folklore qui prend le pas sur la légendaire image de probité des banques.

Comme pour pratiquement toutes les images illustratives, celles-ci restent à la surface des choses. Elles ne donnent pas la dimension réelle de ce qui préside à leur matérialisation. Elles ne nous donnent aucune indication sur la somme de spoliations qui (a) fait le succès du secret bancaire. Elles ne fournissent aucune donnée sur le monde de la finance, qui pour la majorité d’entre nous, reste totalement opaque. Les faits visuels qui sont relatés sont « pauvres » d’un point de vue strictement informatif. Mais les images sont des espèces de balises auxquelles notre cerveau s’accroche pour construire une réflexion, pour l’infléchir, pour « se rappeler »... La tonalité de ces images, en rupture avec la vision bien policée habituelle, correspond à une évolution de l’attitude générale envers le milieu des banques et de la finance. Le succès de ces images atteste que certains tabous sont tombés.

JPEG - 22.4 ko
© Mark Henley

Les communiqués de presse en Suisse nous disent que les photos de la série « Bank On Us » ont été publiées par L’Hebdo et par Swissinfo. En parcourant le blog de Mark Henley on peut constater que de nombreuses publications suisses et étrangères l’avaient déjà fait avant la remise du prix (Bloomberg Businessweek, The Independent, The Atlantic, La Republica, Das Magazin (NZZ), etc). On peut donc dire que « nul n’est prophète en son pays », fût-il d’adoption ;-) Ici ou là on retrouve aussi les photos de « Bank On Us » en couleurs. La série a donc été construite et les photos retravaillées pour composer un ensemble stylistiquement cohérent. Pour être complets, nous dirons encore que les photos de « Bank On Us » sont dûment légendées sur le site de Mark Henley.

Lors de la manifestation de remise des prix, le « Swiss Press Photo Lifetime Achievement Award » [3] a été attribué au photographe suisse Robert Frank pour l’ensemble de son oeuvre. Le célèbre auteur de « Les Américains » a fait le voyage depuis New York où il réside pour recevoir son prix. Dans Le Temps, on peut lire une interview réalisée à cette occasion.

Il y a bien sûr d’autres photographes primés, qu’ils m’excusent si je ne m’étends pas sur leur travail ;-) Leurs images sont également à voir sur le site du « Swiss Press Award ». Nous apprenons que Mark Henley vient de recevoir le premier prix, dans la catégorie Photographie rédactionnelle, du « Swiss Photo Award – ewz.selection », un des prix photo les plus renommés du pays et aussi un des mieux dotés.

Notes:

[1] La Paradeplatz est une place centrale du quartier des affaires de Zürich autour de laquelle on trouve le siège des plus grandes banques suisses. Elle n’a aucun charme particulier, car son centre est occupé par une importante station de tramway. C’est aussi là que se situe l’hôtel le plus cher pour ceux qui jouent au Monopoly en version suisse. (Quelques photographies proviennent aussi du quartier des banques de Genève.)

[2] En 1964, le ministre britannique Harold Wilson a apostrophé la finance internationale en s’adressant aux « gnomes de Zürich ». Dans les traditions d’Europe du Nord, les gnomes sont des nains, laids et malins qui cachent de fabuleux trésors dans des grottes au fond de la terre.

[3] De plus en plus de manifestations nationales, surtout si elles sont pilotées depuis Zürich, arborent des titres ronflants en anglais. Veut-on par là imposer une langue véhiculaire à ce petit pays qui compte déjà 4 langues nationales ? S’agit-il d’un effet de la mondialisation ou d’une nouvelle manifestation de la grandiloquence zurichoise ?

Béat Brüsch, le 18 mai 2012 à 12.05 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: illustration , photographe , presse
Commentaires: 0

Les Suisses se préparent à élire leurs représentants pour les deux chambres nationales. Tout le monde a relevé l’aspect terne de la campagne. Le citoyen peine quelques fois à bien discerner ce qui caractérise les différents partis, car leur nombre fait qu’il est inévitable que les divers programmes se recoupent. De plus, en cours de législature, de nombreuses alliances ponctuelles, mariant la carpe et le lapin, donnent de ces parlements une impression de gros centre mou très éloigné des préoccupations du peuple. De nombreux citoyens résument leur désintérêt par un sempiternel : « De toute façon, ils font ce qu’ils veulent », dénotant ainsi une incompréhension marquée d’un sentiment d’impuissance.

Lors de chaque votation, l’autorité qui l’organise (confédération, canton, commune), édite une brochure explicative. Traditionnellement, il s’agit d’une présentation très officielle des textes de loi, des enjeux et des conséquences de la votation. L’aspect visuel, maussade et minimaliste annonce la couleur (si l’on peut dire, car souvent il n’y en a pas beaucoup !). Le ton rigide et compassé des textes laisse deviner que sa rédaction a été confiée à une armée de juristes répartis équitablement selon une formule alliant la représentativité des partis à celle des forces ayant droit de cité pour la votation en question. Cet art, tout helvétique, du compromis est la méthode garantie pour produire une soupe confédérale (cantonale, communale) que seuls les volontaires armés d’un solide sens civique peuvent digérer. Pour couper court, nombre de votants se rendent directement à la page salvatrice où sont présentés les mots d’ordre des partis, ce qui souvent, leur donne un résumé utile des enjeux du vote. (Pour les élections on ne peut pas recourir à cette astuce puisque ce sont alors ces mêmes partis qui sont en jeu ;-) Cela fait bien des années que je vote par correspondance et l’autre jour, en ouvrant mon enveloppe, j’ai eu la surprise d’y trouver une brochure explicative plutôt attrayante. Dès la couverture, avec un titre métaphorique et une photo en quadrichromie, on sent qu’on a affaire à une publication réalisée avec des compétences de communication professionnelles. La suite, toujours en quadrichromie, ne dément pas la première impression. Les photographies, en pleine page, sont de qualité « publicitaire » et soulignent le propos métaphorique induit par les textes. Elles dénotent sans ambiguïté qu’on se situe dans le régime illustratif. Les allusions gastronomiques constituent une sympathique allégorie déchiffrable même par les lecteurs les moins entrainés. L’organisation des contenus se présente sur deux niveaux : les pages de gauche affichent la présentation des différents partis qui ont fourni pour cela leurs propres textes (mais pas les images !) et les pages de droite qui, de façon autonome, égrainent différents thèmes allant de l’incitation à se rendre aux urnes jusqu’aux aspects techniques. Pour qui se donne la peine de les lire - oui je sais, on ne doit pas être nombreux ! - ces pages constituent un bon petit rappel d’instruction civique non dénué d’audaces drolatiques, comme : « La Suisse compte certainement plus de variétés de fromages que de sièges au Conseil national. Coulants ou extra-durs, doux ou corsés – l’abondance rend le choix difficile. » Malheureusement, la lecture des pages de gauche, elle, donne vite la nausée, tant les poncifs et les promesses déraisonnables ont du mal à échapper à la xyloglossie ordinaire. La mise en page typographique, sobre sans être ennuyeuse (le bon chic bon genre typiquement helvétique), est une bonne illustration de la permanence de cette typographie suisse qui a, parait-il, tant marqué le style typographique international.

Je n’ai pas lu ou entendu beaucoup d’appréciations sur cette brochure, mais je pense qu’il doit bien se trouver quelques esprits chagrins pour déplorer cette « mascarade » ainsi que son coût, sûrement « exorbitant ». [1] Pour ma part, je pense qu’un peu de savoir-faire en communication de la part des autorités ne peut être que bienvenu face au rouleau compresseur publicitaire mis en branle par de grands partis. Un peu de finesse dans le propos démontre qu’on peut faire de la com autrement qu’en visant au-dessous de la ceinture. Même si cela ne change rien à la qualité du travail parlementaire, la tentative d’amener quelques citoyens de plus à s’y intéresser vaut bien cet effort.

On peut télécharger la version .pdf de cette brochure sur le site de la Chancelerie fédérale.

Notes:

[1] Le coût total de ces élections serait compris entre 15 et 20 millions de francs. La démocratie est un luxe !

Le graphique sous forme de gâteau a semble-t-il été mal digéré par des partis qui ne s’y sont pas reconnus.
- Le parti du travail, plus doué en cuisine politique qu’en communication, n’a pas apprécié que la chancellerie fédérale ne l’ait pas suivi dans sa valse des étiquettes.
- Les verts, eux, n’ont pas aimé se retrouver plus conservateurs que les socialistes et affirment vouloir « ...interpeller le National pour interdire ce genre de graphique. Après les élections. » Dans un sens on peut les comprendre, mais ne sont-ce pas justement les partis les plus conservateurs qui ne pensent qu’à interdire la libre expression ?

Béat Brüsch, le 20 octobre 2011 à 11.17 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: illustration , métaphore , société
Commentaires: 0

Les images des manifestations actuelles en Égypte sont bien plus abondantes qu’elles ne le furent pour les évènements récents de Tunisie. [1] Pour la presse, il n’y a que l’embarras du choix. Plus besoin de puiser dans les archives ou dans des images à la périphérie des évènements pour ne donner qu’une version illustrative de l’actualité.

Le Courrier, quotidien indépendant de Suisse romande, publie une grande photo (de Keystone) en une de son édition du week-end. On y voit une manifestation dans laquelle on brandit des pancartes anti-Moubarak. La légende nous dit : « À l’heure où nous mettions sous presse, la contestation était encore massive dans les principales villes égyptiennes, malgré le couvre-feu nocturne décrété par le président Hosni Moubarak. Ce dernier a appelé l’armée à la rescousse. »

L’image pose quelques problèmes, car elle détonne par rapport à toutes celles qu’on peut voir ailleurs. Ici, les manifestants sont sagement rangés sous leurs banderoles et défilent pacifiquement. On dirait presque qu’ils sont « organisés ». De plus, leur physionomie ne ressemble pas à celle des Égyptiens qu’on s’habitue déjà à voir partout depuis quelques jours. Et pour cause... contrairement à ce que laisse entendre la légende et à ce que peuvent faire croire les textes en écriture arabe, nous ne sommes pas en Égypte, mais dans une manifestation qui s’est déroulée le 28 janvier à Istanbul. (Vous en doutez ? Une autre photo - de Reuters, celle-là - prise dans la même manifestation, est visible ici, au No 50)

Le Courrier nous a habitués - mais pas convaincus - à une utilisation des photographies pour le moins originale. Régulièrement décalées par rapport aux réalités textuelles, leurs images se rangent résolument dans le registre illustratif [2] sans qu’on sache toujours pourquoi, alors que la légende ne fait souvent qu’épaissir le mystère qui entoure ces choix éditoriaux. Est-ce par maladresse, par un besoin d’anticonformisme ou pour des raisons économiques qu’on nous propose régulièrement des photographies qui ont l’air d’être des deuxièmes choix ? Cette fois, on a visiblement opté pour un sujet qui correspond à l’imagerie du réalisme révolutionnaire tel qu’il se doit d’être véhiculé par un journal de gauche : tous rangés derrière la même bannière, les chefs devant et « à bas le dictateur ». Ce n’est malheureusement pas exactement ce qui se passe en Égypte. On en est même bien loin, car on constate dans tout le pays qu’il s’agit bien d’un mouvement spontané et inorganisé, issu d’un ras-le-bol grossièrement formulé. Montrer cela de la manière dont le fait cette couverture est juste ridicule et touche à la désinformation.

Le dispositif graphique de cette couverture, avec son titre, son image et sa légende s’affirme clairement comme une contribution de type documentaire, alors qu’en réalité, il est construit à la manière d’une illustration qui ne dit pas son nom. Cette ambiguïté mensongère, qui heureusement n’est pas reprise dans les pages intérieures, fait aujourd’hui passer Le Courrier pour une vulgaire feuille de boulevard.

Notes:

[1] Voir par exemple ces 2 billets sur Culture Visuelle :
- Egypte : de la révolution dans les images
- Suivre de loin la médiatisation en ligne des évènements Egyptiens.

[2] « Illustratif », au sens d’une image mise au service d’un discours, en opposition à une image documentaire. Selon les concepts développés dans ce billet.

Béat Brüsch, le 30 janvier 2011 à 12.33 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: dispositif , documentaire , illustration , photojournalisme , presse
Commentaires: 4

JPEG - 106.1 ko
© Béat Brüsch - carte à gratter 1992

Je vous souhaite une nouvelle année aussi bonne que possible. Prenez cette image pour un reflet de l’année écoulée ou investissez là de vos désirs les plus fous pour la nouvelle année.

Je tire cette image - jamais publiée - de mes archives. Elle devait illustrer une autre crise, mais je ne sais plus laquelle ;-)

Béat Brüsch, le 31 décembre 2008 à 01.38 h
Rubrique: Divers
Mots-clés: illustration
Commentaires: 0

Dans un billet récent, André Gunthert nous fait part d’un phénomène nouveau qu’on pourrait bien appeler l’imputation de retouche. Il nous signale que le site PhotoshopDisasters a cru déceler une retouche là ou il n’y avait qu’un effet de miroir un peu pernicieux. Nous sommes tellement sensibilisés aux possibilités de retouches d’images que nous pensons en voir là ou il n’y en a pas !

Une autre controverse autour d’une retouche - pour l’instant non avérée - est relatée ces jours par The Online Photographer (ici puis ici) : on croit la déceler sur un portrait de Bette Davis figurant sur un timbre-poste. La main de l’actrice semble y tenir une cigarette qu’on ne voit pas (plus ?). La position de la main est très ambigüe. Sur un autre blog, celui de Roger Ebert, il y a pour l’heure, 226 commentaires provenant principalement d’internautes choqués de ce révisionnisme. Quelques-uns pourtant, remettent l’existence de la retouche en question et tentent de nous montrer des images proches de « l’original ». On cite même un déni de retouche de la part d’une porte-parole d’US Postal Service qui a émis ce timbre. Attendons d’avoir d’autres éléments...

Les cas de photos de fumeurs célèbres auxquels on a retiré la clope sont nombreux et ont défrayé la chronique. Ne rappelons, de ce côté-ci de l’Atlantique, que ceux de J-P Sartre ou d’André Malraux (ce dernier, pour un timbre-poste justement).

Mais ce qui me frappe ici, quelle que soit l’issue de cette histoire, c’est qu’on puisse parler de retouche à propos d’une image qui n’est PAS une photo ! Car il s’agit bien d’une illustration, « faite à la main » (à la peinture à l’huile). Certes, le portrait est réaliste et pourrait passer pour de la photo aux yeux de spectateurs pressés ou inattentifs. Mais un oeil exercé y trouvera tout de même des effets de rendu ou de texture qui ne ressemblent que de loin à de la photo. La plupart des détails de facture qui pourraient « trahir » la peinture sont rendus invisibles par une réduction de format d’au moins 5 à 10 fois la taille de l’original. Évidemment, cela donne à la reproduction une grande finesse qui peut faire illusion. Les illustrateurs n’ont pas le temps et la possibilité de faire de la peinture de chevalet. S’ils veulent être réalistes, ils doivent se documenter avec... des photos. Souvent ils en utilisent plusieurs et tirent le meilleur de chacune pour en faire une sorte de synthèse, un composite. Ces éléments sont ensuite rendus plus ou moins fidèlement à travers divers effets, eux-mêmes conditionnés par les techniques utilisées et la vision qu’en a l’artiste. Dans les procédés utilisables en illustration, on ne retrouve donc pas cette continuité mécanique du sujet jusqu’au support final, chère à certains théoriciens de la photo. Les « interventions » sont ici constitutives du média utilisé. J’ai pratiqué longuement le métier d’illustrateur et jamais, même pour les rendus les plus réalistes, je n’ai pu constater ne serait-ce que le début d’une attente de véridicité ou d’objectivité de la part d’une illustration. Les frontières entre les illustrations dessinées et les photos ont toujours été très claires.

Mais cela se passait à la fin du siècle passé ;-) Les perceptions auraient-elles changé depuis l’arrivée du numérique ? Il y a certes des glissements qui se sont produits, mais ils sont principalement observables en présence de techniques dites de réalité augmentée. L’imagerie produite au moyen des médias de peinture traditionnels ne devrait pas être englobée dans ce type de perception...

Revenons au portrait de Bette Davis. Il est l’oeuvre de l’illustrateur Michael J. Deas qui réalise ses portraits en peinture à l’huile, dans la plus pure tradition américaine d’un style d’illustration qu’on pourrait qualifier de « réalisme romantique » et qui pour nous, peut frôler quelques fois le kitsch. Pour réaliser ce portrait il s’est assurément procuré nombre de photos, dont probablement celle-ci. Si ce n’est le cas, cela permet au moins de voir le travail d’interprétation qu’on peut réaliser à partir de photos.

La main - ou sa position - pose un réel problème. Comment un professionnel de ce niveau a-t-il pu choisir cette posture sans voir l’ambiguïté qu’il mettait en place ? Cela semble trop gros. Je peux vous dire qu’avant de se lancer dans la réalisation d’un travail aussi besogneux, on peaufine soigneusement ses croquis, pesant tous les aspects, afin « d’assurer » une réalisation sans repentirs. Tous ceux qui connaissent Bette Davis savent qu’elle était une grande fumeuse et que cela est justement attesté par de nombreuses photos. Michael J. Deas aura probablement eu le souci de la représenter dans une posture typique, donc avec une cigarette. Mais les gardiens de la morale sont infatiguables et n’ont jamais peur de passer pour des idiots révisionnistes !

Au final, qui aura fait la retouche ? L’artiste sur sa peinture à l’huile ou un retoucheur sur des pixels ? Dans les 2 cas, pourrait-on qualifier cela de retouche ? J’ai bien peur que oui. Cela propulserait la peinture vers de nouvelles perspectives objectivistes ;-) Va-t-on bientôt reprocher à Léonard d’avoir inventé un sourire à la Joconde ?


Addenda du 27.10.2008:

L’illustrateur Michael J. Deas répond à Mike Johnston de The Online Photographer : « ...I can unequivocally state that in the original reference photo Bette was not smoking a cigarette. It just ain’t so...though looking at the position of her fingers I can see why people might think otherwise. » Lire la lettre ici...

Il affirme donc sans équivoque que dans la photo originale, Bette n’avait pas de cigarette. C’est la stricte vérité et j’en prends acte. Mais, cela nous l’avions déjà vu. Tout comme nous voyons aussi que ce n’est pas du tout la même main qui a servi de modèle... Ah, quand le doute s’installe...

Béat Brüsch, le 27 octobre 2008 à 18.07 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: illustration , peinture , retouche
Commentaires: 1
0 | 5