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mot clé «blogosphère»

Mon billet consacré à la petite fille brûlée au napalm vient de dépasser les 10’000 consultations. Il figure largement en tête de la fréquentation de ce blog. (Les suivants n’affichent que 6900 et 3900 consultations). Le reportage qu’Arte a consacré à cette photo [1], il y a quelques jours, a donné un petit coup d’accélérateur : 500 consultations le jour de l’émission et environ 500 autres dans les jours qui ont suivi. Ce billet a été publié pour la première fois le 15 août 2007 sur l’ancienne formule de ce blog (qui ne disposait pas de statistiques aussi détaillées que celles que fournit Spip et qui n’entre donc pas dans ces calculs). Depuis le passage à la formule actuelle du blog (septembre 2008) il ne se passe pas un seul jour sans que le billet soit consulté plusieurs fois. [2] La très grande majorité des visiteurs provient de Google. [3] Loin derrière, on trouve quelques autres moteurs ou index. Parfois, quelques blogs et forums renvoient également au billet.

De ces données on peut rapidement déduire que la quasi-totalité des lecteurs de ce billet est constituée de visiteurs occasionnels (qui ne connaissent donc pas ce blog). Qui sont ces lecteurs et qu’est-ce qui les motive ? Pourquoi ont-ils soudainement l’idée de rechercher ce sujet dans Google ? Cette image est-elle tellement incrustée dans la culture collective pour qu’on ait spontanément envie d’en savoir plus ? Les entrants ont-ils entendu parler de cette image, par la presse, par des sites internet, par leurs amis ?

Il est certes établi depuis longtemps qu’il s’agit ici d’une des icônes les plus connues de la barbarie et des souffrances que les guerres modernes engendrent envers les civils. L’image de la douleur d’un enfant, symbole de pureté et d’innocence, ne peut qu’apitoyer le spectateur et déclencher les plus vives réactions. La sympathie naturelle que suscitent les enfants se transforme en une intense empathie lorsqu’ils sont victimes de souffrances. Pour beaucoup, cela représente la dernière des cruautés (il n’est qu’à voir les réactions ulcérées en présence de crimes sur des enfants). Ici, la nudité de la fillette, vue autant comme une atteinte à sa pudeur que comme un dénuement extrême, en rajoute au registre de l’effroi. Dès sa publication, l’image a fait grand bruit. Dans une période où la guerre du Vietnam - de plus en plus contestée - faisait continuellement la une des médias, elle a marqué les esprits au point d’obtenir rapidement son statut d’icône. La personnification ultérieure de la victime - qui s’en est sortie et mène une vie publique marquée par sa pénible expérience - compte sûrement dans la persistance de cette icône.

Il est difficile de caractériser le public intéressé par cette image. Si cette icône est aussi marquante, c’est moins parce que les valeurs qu’elle défend sont partagées par la plupart des gens, que parce que ce qu’elle montre est ressenti comme insoutenable par tout un chacun. Dès lors, tout le monde est susceptible de chercher des références sur cette image. Il suffit d’avoir une connexion internet. (Et du coup, mon questionnement est un peu vain ;-) Je ne suis pas pour un internet fouineur - comme il s’en profile dans certaines démocraties tout près d’ici - mais je ne peux m’empêcher de « remonter » vers quelques sources, lorsqu’elles s’affichent de manière transparente (referers). Pour ce que je peux voir (je n’ai aucune compétence de hacker) il y a effectivement une grande diversité de personnes s’intéressant au sujet. Tout au plus, ai-je noté que le sujet émouvait souvent un public de jeunes filles ingénues, découvrant avec écoeurement les cruautés du monde, ainsi que le « voyeurisme » et l’« insensibilité » des photographes de presse.

On peut remarquer qu’il n’y a aucun commentaire sur ce billet (ils sont maintenant fermés, mais ils sont restés ouverts pendant très longtemps). D’après les analystes qui constatent globalement qu’entre 1% et 1‰ de visiteurs laissent un commentaire, il devrait y en avoir entre 10 et 100 ! Ces visiteurs peu actifs ne sont sûrement pas des habitués des blogs ou, plus largement, des débats. Ils ne s’intéressent pas outre mesure à la photo (le principal sujet de ce blog), mais à un sujet figurant sur une photo, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. (S’ils s’intéressaient à la photo, ils reviendraient peut-être, mais ce n’est pas ce que je constate.)

Pour tenter d’y voir plus clair, essayons de comprendre les données, objectives (?), fournies par les mots-clés que saisissent les visiteurs sur Google. En tête des demandes viennent Nick Ut et Kim Phuc (2e et 3e rang de la page de résultats). Cela pourrait dénoter que les visiteurs qui accèdent le plus au billet sont déjà des « connaisseurs » puisqu’ils savent les noms des protagonistes (dans un idiome peu familier, de surcroit). Mais cet effet est trompeur, car ce sont des noms propres. On peut les considérer, du point de vue d’un moteur de recherche, comme exclusifs. S’ils sont saisis correctement ils mènent au but sans histoires. Il n’en va pas de même pour tout un groupe de mots qui peuvent être permutés, réarrangés et réassortis pour obtenir un bon résultat. Ainsi, les ensembles... petite fille nue napalm, fille nue napalm, petite fille napalm, fille napalm, nue napalm, kim phuc napalm, nick ut napalm, etc... sont tous classés au premier rang de la page de résultats de Google. Ensemble, ils constituent la grande majorité des requêtes qui aboutissent. On peut remarquer que napalm en fait toujours partie, mais utilisé seul, il ne mène au billet qu’à la 3e page de résultats. Petite fille ou petite fille nue ne mènent à rien de ce que nous recherchons (on s’en doutait). En ajoutant d’autres mots tels que guerre, Vietnam, photo, brûlée, on arrive à de nombreux autres arrangements qui tous donnent un résultat dans les premiers rangs de la page. Google ne nous en apprend donc pas beaucoup sur les motivations des visiteurs tant les mots-clés utilisés sont banals et tombent sous le sens. Tout au plus, pourrait-on dire que Google fait bien son boulot, mais ce n’était pas le but de ce billet ;-) Il faut toutefois tempérer cette appréciation en considérant que les résultats actuels sur Google ne donnent pas un aperçu des plus utiles, car ils sont fortement mobilisés par le documentaire d’Arte, dont de nombreux sites signalent simplement le passage, sans apporter aucune autre information pertinente. Cela met en lumière un défaut du système de référencement de Google : le classement des résultats n’est pas forcément représentatif de la pertinence des contenus. Des sites, ayant de façon générale, un bon ranking, reprenant tous ensemble le même communiqué de presse sont capables de polluer des pages entières de résultats. Il faut ensuite beaucoup de temps pour constater une décantation.

Pour reprendre la thématique des images iconiques ou des images d’enfants victimes de la guerre, on peut relire ces articles :
Edgar Roskis : Intifada pour une vraie paix - Images en boucle (Le Monde Diplomatique)
André Gunthert, sur son ancien blog :
- Le nom de la rose
- Insoutenable : la guerre ou son image ?

Signalons 2 sources importantes (déjà mobilisées sur mon billet original) concernant l’image de la petite fille au Napalm :
Horst Faas [4] and Marianne Fulton - The survivor - Phan Thi Kim Phuc and the photographer Nick Ut (in english)
Gerhard Paul - Die Geschichte hinter dem Foto - Authentizität, Ikonisierung und Überschreibung eines Bildes aus dem Vietnamkrieg (auf Deutsch)

Notes:

[1] Docu dilué sur près d’une heure - alors que le contenu véritable tiendrait sur une feuille A4 - où on n’apprend aucune chose qu’on ne savait déjà et où on assiste surtout à un cabotinage du photographe qui frise l’indignité.

[2] Environ 19 visites par jour, en moyenne, depuis la nouvelle mouture du site.

[3] Tests effectués les 21 et 22.02.10 sur Google (fr).

[4] Responsable photo du bureau d’AP au Vietnam qui a pris sur lui de publier la photo.

Béat Brüsch, le 23 février 2010 à 23.31 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: blogosphère , guerre , photojournalisme , éthique
Commentaires: 1

Le livre Free Culture, de Lawrence Lessig a été traduit en français et mis en ligne récemment sous licence Creative Commons. Le très actif juriste américain, spécialiste de la propriété intellectuelle et référence mondiale du droit d’auteur à l’ère de l’internet, n’avait encore jamais été traduit en français. C’est maintenant fait et téléchargeable ici. [1]


Culture libre (2004) est un ouvrage foisonnant - même un peu bavard - qui, à travers de nombreuses histoires réellement édifiantes, [2] nous fait percevoir les limites et absurdités de législations inadaptées aux conditions techniques de leurs époques. Ne vous attendez pas ici à une recension de cet ouvrage dont le propos est d’ailleurs peu réductible. Je me contenterai de quelques généralités non étayées. Plus loin, nous verrons les implications de ces idées dans le domaine de la photo qui est à mon sens l’éternel parent pauvre du droit d’auteur. Précisons que Lessig se réfère presque exclusivement au droit américain, ce qui pour certains concepts diffère quelque peu des acceptions européennes.

Le point central de la réflexion de Lessig est que les idées sont à tout le monde. De la circulation des idées naissent de nouvelles idées. Chaque philosophe, chaque artiste, chaque citoyen ne serait rien s’il ne pouvait s’appuyer sur le travail de ses prédécesseurs. Cela s’appelle la culture. Avec les nouvelles technologies, les idées circulent bien plus qu’avant et d’une manière tellement différente que les lois sur les droits d’auteur ne pouvaient le prévoir. Avec internet, nous passons d’une culture du read-only (récepteurs passifs d’une culture produite ailleurs) à celle du read-write, ou chacun, savant ou citoyen, peut se saisir de « matériaux » formulés ailleurs pour s’exprimer en construisant son propre langage.

Contrairement à ce que pourrait laisser croire une lecture simplificatrice, Lessig n’est pas du tout opposé au droit d’auteur ou à sa rémunération. Culture libre ne signifie pas culture sans droits ou culture gratuite. Entre une juste rémunération des auteurs et la mainmise de grandes compagnies arcboutées sur des privilèges d’un autre temps et sur des modèles économiques dépassés, il y a un espace dans lequel on peut trouver des solutions. L’utilisation des licences Creative Commons (dont Lessig est par ailleurs membre fondateur et président) va dans ce sens. Dans de nombreux exemples, Lessig nous rappelle que les lois, y compris celles sur le droit d’auteur, ont été souvent révisées pour s’adapter à des évolutions technologiques. Pour lui, « chaque nouvelle génération (technologique) accueille les pirates de la génération précédente ».

La diffusion des oeuvres de l’esprit (production immatérielle) se fait souvent par le truchement d’un support physique. Ce support (livre, CD, film, tableau, reproduction sur papier) a tellement servi qu’il a fini par être assimilé à son contenu. Dans les faits il n’en est rien : dans le prix d’un CD il y a une (faible) partie immatérielle qui est le propre de chaque création, des frais de production et de promotion et un peu de plastique et de papier imprimé. Les internautes ne s’intéressent qu’à la partie créative et ne veulent payer que celle-là. Les majors voudraient assimiler la copie d’une musique sur internet au vol d’un CD chez le disquaire. Il faut tout de même remarquer que la copie d’une musique ne prive pas le détenteur de son bien, alors que le disquaire, lui, a dû acheter le CD avant de le revendre. C’est toute la différence entre 2 mondes. L’affranchissement du support donne des ailes aux productions de l’esprit... et du souci à ceux qui vendent le support.

Avec internet, chaque consultation d’une oeuvre produit une copie. Cela change complètement les conditions de diffusion des oeuvres. Il s’ensuit l’idée que la copie ne devrait pas être systématiquement le déclencheur du copyright. Les divers usages de la copie doivent être mis au centre de la discussion, ils sont déterminants pour une juste évaluation du droit. C’est ici qu’on voit (re)surgir l’idée de l’enregistrement des oeuvres sur un registre pour en revendiquer le droit d’auteur. Je reviendrai sur cet aspect (que je n’aime pas) plus loin dans ce billet.

Lessig nous rend attentifs au fait que les oeuvres peuvent avoir plusieurs vies. La première, si son auteur a un peu de chance, est sa phase commerciale. La durée de vie « rentable » d’un livre, par exemple, n’est pas très longue. Quand il disparait des rayons du libraire, poussé par de nouveaux livres, il peut encore être acheté dans des magasins d’occasion sans que l’auteur ne soit rémunéré. Plus tard, il sera lu tout aussi gratuitement dans des bibliothèques de prêt. Peut-être sera-t-il archivé quelque part, bien à l’abri, inatteignable et voué à l’oubli. Des archives redondantes, avec des accès en ligne dûment indexés, pourraient garantir qu’il n’en aille pas ainsi. (Par contre, que cette prestation soit monopolisée par une seule société - commerciale - n’est peut-être pas très heureux.) Bien sûr, toutes les sortes d’oeuvres ne présentent pas les mêmes caractéristiques à ce niveau. Pour parvenir à ce rêve d’une moderne bibliothèque d’Alexandrie il faut que les durées de vie « rentables » des oeuvres soient réduites. Et les usages nouveaux qui en découlent devraient être réglés statutairement (fixés par la loi) au lieu d’être laissés à la merci de sociétés commerciales plus motivées par l’âpreté au gain que par un souci de conservation du patrimoine de l’humanité.

Et la photo dans tout ça ?

À la lecture des propos de Lessig, je retrouve les mêmes petites frustrations que j’ai souvent relevées lorsqu’on parle de droits d’auteur en relation avec internet : on ne fait pas grand cas des photos (ou plus généralement des images). Les problèmes les plus criants sont toujours liés aux téléchargements de vidéos et de musique que les majors s’efforcent de criminaliser, entrainant des gouvernements bornés à traiter des gamins comme s’il s’agissait de dangereux terroristes. Les photos, qui pourtant pullulent à portée de nos souris, ne font pas l’objet de grands débats passionnés.

Il y a des différences de nature évidentes entre les médias : des images animées, des images fixes, des textes, de la musique, des idées ou toutes autres productions de l’esprit ne se créent ni ne se consultent de la même façon. Cela va sans dire, mais n’est pas toujours pris en compte. Essayons de déterminer comment les images ou les photos se différencient des autres oeuvres protégées et de dégager des usages spécifiques impliquant d’autres manières d’aborder leur droit d’auteur. [3]

Plein de photos partout !

Le partage de films ou de musiques demande une certaine volonté, car il faut opérer des démarches techniques, plus ou moins compliquées, pour y parvenir. Les musiques et les films ne déboulent pas spontanément sur les écrans. L’accès aux photos est par contre d’une facilité déconcertante : il y a des images partout sur le web. Une simple requête sur Google, une consultation de Flickr ou d’un blog quelconque et voilà plein de photos sur votre écran, « yaka » les prendre. Cette disponibilité des images les rend aussi banales que celles que vous produisez vous-même (enfin, pour la plupart des gens ;-) Allez ensuite expliquer qu’il y a des règles compliquées de droit d’auteur pour ces images... L’ordinateur est en réalité un fantastique « copieur ». Les photos qu’il affiche sont perçues comme des éléments d’usage courant. (Peu importe que ces pixels se situent dans la mémoire vive qu’utilise votre browser ou soient réellement copiés sur votre disque dur.) Pour le grand public, et cela bien avant la récente multiplication des appareils de prise de vue, le statut des photos se situait déjà dans la banalité des usages familiaux, du souvenir ou de la documentation ordinaire. Le foisonnement actuel des APN n’a fait qu’accentuer ces caractéristiques.

Engouement

Les passionnés de Sting ou des Beatles sont infiniment plus nombreux que les mordus de Cartier-Bresson ou de Capa (distinction purement quantitative !) En musique, les oeuvres recherchées le sont pour leurs auteurs et interprètes. En photo (sauf pour les connaisseurs), c’est plutôt une valeur documentaire ou décorative qui est recherchée, peu importe qu’elle soit signée par un grand nom. C’est dur pour l’ego des photographes, mais c’est bien comme cela que l’internaute lambda le ressent.

Qualité de reproduction

La numérisation a pour caractéristique de ne pas dégrader le signal. Cela permet aux fichiers musicaux (et dans certaines conditions au cinéma/vidéo) de diffuser une qualité de reproduction théoriquement parfaite ou du moins très fidèle. On ne peut en dire autant pour les photos diffusées sur internet. Les photos « de valeur » (art, photojournalisme ou autres productions de professionnels ou d’amateurs-experts) ne sont disponibles que sous une forme dégradée, car un affichage sur internet se contente de fichiers en basse résolution. Les fichiers originaux en haute résolution, qui seuls permettent des tirages et des impressions de qualité ne sont pas disponibles. Cela laisse à la photo un peu de marge avant de pouvoir être pillée intégralement ;-) Les tirages papier sont toujours très prisés sur un marché de l’art en pleine expansion et il est vrai qu’aucune imagette d’un grand photographe « trouvée sur internet » [4] ne soutiendra la comparaison avec un tirage sur papier. Par contre, les fichiers en basse résolution que véhicule internet sont suffisants pour une utilisation sur... internet. On peut donc prétendre que - pour le moment - la photo se distingue nettement des fichiers musicaux sur le plan de la qualité technique disponible. Mais il est difficile de prévoir l’évolution des standards de lecture. On s’est habitué à l’écoute de musique rediffusée, par haut-parleurs et par écouteurs, alors que les concerts sont d’une qualité bien supérieure. On semble s’habituer au visionnement de films sur des écrans privés de plus en plus petits, alors que tout le monde est encore d’accord pour reconnaitre une supériorité à l’écran d’une salle de projection. Que va-t-il se passer pour les photos ? On constate déjà que les standards évoluent vers une consultation majoritairement sur écrans. Une proportion très élevée d’images ne sera jamais imprimée (ce qui, au passage, fait bien sourire quand on assiste à la course aux mégapixels pour les capteurs). Il est possible que la consultation de photos en basse définition augmentant, elle devienne ainsi un véritable standard... À moins qu’elle ne le soit déjà ?

Conditions économiques

Les marchés du showbiz et de la photo sont incomparables. Les volumes d’affaires, les conditions créatives, la structure des marchés, l’industrialisation, tout est différent. Sur un appareil photo, il n’y a qu’un seul viseur ! Là ou l’auteur de la photo est à peu près seul, on trouve pour la musique, une chaine de production et de distribution à une échelle industrielle. En moyenne une photo, avant l’arrivée des agences lowcost, se vendait à un prix largement inférieur (d’un facteur 100) au prix de revient de l’enregistrement de la moindre chansonnette. Il est à remarquer que ce prix n’est d’ailleurs pas facturé au consommateur final (enduser), mais à l’éditeur qui publie la photo. À l’heure ou tout le monde (y compris l’enduser) peut devenir éditeur, cela met au jour une autre difficulté pour les photos de se prévaloir d’un statut d’oeuvre protégée. On comprend aussi qu’il est plus facile pour une organisation industrielle d’entretenir des armées d’avocats pour faire respecter un droit d’auteur que ça ne l’est pour un artisan. Les seules organisations industrielles à s’occuper de droits d’auteurs pour les images sont les grosses banques d’images. Charité bien comprise commençant par soi-même, on ne s’étonnera pas qu’elles défendent avant tout leur propre vision du droit d’auteur et fassent fréquemment usage de photos en DR. [5]

Amateurs <-> professionnels

La musique, cela ne s’improvise pas. Que l’on soit amateur ou professionnel, il faut faire ses gammes pour pouvoir se faire entendre. Encore un lieu commun ! Mais il est bon de le rappeler pour souligner ce statut de « mérite » dont jouit une pratique qui n’est pas à la portée du premier venu. Il est infiniment plus difficile de jouer du violon que d’appuyer sur le déclencheur d’un APN. L’immense majorité des photographes du dimanche se contente de ce petit miracle et ne se pose pas trop de questions sur la portée du geste minuscule qu’il vient de faire. On ne s’étonnera donc pas que la notion de droit d’auteur ne l’effleure même pas. La pratique de la photo se caractérise par une forte coexistence entre amateurs et professionnels, sans pour autant que les uns se soucient réellement des autres. L’ennui, c’est que toutes ces images, qu’elles soient le résultat d’une véritable démarche créative et technique ou qu’elles soient juste une tentative convenue de « prendre une image », se retrouvent sur internet totalement mélangées, sans repères visibles de leurs statuts spécifiques. Pourquoi pas, d’ailleurs ? Mais cela noie encore un peu plus les distinctions qu’on pourrait vouloir faire.

Perspectives

Comme on le voit, non seulement, les photos sont difficilement perçues comme des oeuvres dignes du droit d’auteur, mais la (re)définition de ce droit et son application ne sont pas vraiment à l’ordre du jour. Les pistes pour y arriver sont peu distinctes car les intérêts des uns ne recouvrent pas les aspirations des autres. Les forces en présence (et les préjudices) sont trop faibles pour qu’elles puissent se faire entendre. Une fois de plus, ceux qui ont le plus à gagner (les grosses banques d’images) seront les seuls à se faire entendre.

Lawrence Lessig fait une grande place au principe de l’enregistrement des oeuvres sur un registre centralisé pour en revendiquer le droit d’auteur. Cette idée peut paraitre séduisante et elle a effectivement beaucoup d’adeptes aux USA où le Congrès s’apprête à voter dans ce sens. (J’ai déjà parlé de cela dans ce long billet, ici.) Voici typiquement une idée qui n’est pas appropriée au monde de la photo. Quand on produit 1 ou 2 films par année ou 3 sculptures monumentales ou encore une douzaine de peintures, il est facile de les faire enregistrer. Mais quand - comme c’est le cas pour de nombreux photographes professionnels - on engrange quotidiennement des centaines de prises de vue, qu’on en soumet certaines à divers clients, qu’on en publie une partie de diverses manières, qu’on en archive d’autres et qu’on en ressort des anciennes... la tâche serait d’une lourdeur insupportable et proprement ingérable, vu le statut fluctuant des photos au cours de leur existence. Les photographes sont des artisans qui préfèrent passer du temps « sur le terrain » plutôt que d’administrer une oeuvre dont la pléthore n’est d’ailleurs pas une assurance de rentabilité. Il faut noter aussi que le principe de devoir enregistrer des oeuvres sur un registre pour les protéger est en contradiction avec la plupart des législations sur le droit d’auteur européennes pour qui le statut d’oeuvre protégée est automatique dès leur création (je simplifie).

Il y a des pistes à creuser...

Les photographes utilisant un ordinateur avec efficience (pas encore tous !) prennent déjà le temps de taguer leurs photos pour pouvoir les retrouver dans leurs bases de données internes. Ces mêmes tags fonctionnent aussi en ligne. Chaque prise de vue produite par un appareil photo contient des métadonnées EXIF automatiquement intégrées au fichier (date, vitesse, ouverture, exposition, etc). Ces tags peuvent être complétés par les photographes dans leurs logiciels de traitement d’images ou leurs bases de données (catalogueurs) avec des indications telles que lieux, titre, légende, etc, ainsi que par des indications de copyright. Avec les EXIFs, pas besoin de registre, toutes les données sont déjà dans la photo !

Il me semble techniquement possible d’améliorer la portée et la prise en charge de ces métatags en les incorporant « plus profondément » dans les fichiers afin, par exemple, de ne pas les perdre lors de traitements ultérieurs du fichier comme le redimensionnement. Cela existe déjà (Digimarc) mais il s’agit d’un format propriétaire et payant et de ce fait réservé aux photos professionnelles réellement publiées. Pour que toutes les photos soient taguées, quel que soit leur statut, il faut un système de standards gratuit, approuvé par une majorité d’acteurs, dont quelques grandes marques servant de leaders. Il faut que ce marquage, à l’instar des EXIFs, soit intégré dans les fichiers des formats photographiques dès la prise de vue. Il ne serait ensuite modifiable que par l’auteur. On pourrait également y préciser un statut de Creative Commons. Mais en aucun cas il ne faudrait essayer d’imiter un système de DRM dont on a pu voir les effets désastreux et qui n’ont désormais plus la cote, même chez leurs plus ardents promoteurs. [6] On m’objectera que tout système peut être craqué par des pirates. Mais c’est oublier que les enjeux pour les photos ne sont de loin pas aussi motivants que pour de la musique ou des films. C’est oublier aussi que grâce à des logiciels de recherche basés sur l’identification d’images (comme TinEye) il sera de plus en plus facile de retrouver une image source.

Parallèlement, il me parait indispensable de généraliser l’utilisation de licences comme celles des Creative Commons. Si elles ne sont pas parfaites aux yeux de certains, elles ont au moins le grand avantage d’être fonctionnelles dès maintenant, et cela même pour un usage professionnel. Ces licences pourront toujours être complétées si les pros ont de bonnes raisons à faire valoir. Le plus grand nombre possible d’aspects du droit d’auteur devraient être régis par des dispositions statutaires, c’est à dire, par des modalités réglées par des lois précises et adaptées aux technologies, plutôt que par de beaux principes flous ouvrant la porte à une justice d’avocats, forcément inégalitaire. Tous les droits d’usages devenus monnaie courante, tels que le droit de citation, le droit à la parodie ou à la critique, ainsi que les usages non commerciaux doivent être redéfinis de façon spécifique pour la photo.

Dans cette recherche de redéfinition du droit d’auteur, les photographes professionnels ne tirent pas à la même corde que les amateurs. Mais sur internet, ces derniers sont déjà bien plus nombreux que les pros. Ils sont dans la place et sont aussi en mesure d’y dicter leur loi.

Petite « webographie » autour du droit d’auteur :

(liste non exhaustive :-)

• Lawrence Lessig :
Wikipedia
Site personnel
Lawrence Lessig : le juriste militant du free - Sur l’Atelier
Lawrence Lessig : Comment la créativité est étranglée par la loi. - Sur ReadWriteWeb - YouTube d’une conférence de Lawrence Lessig (en anglais, 19’ ) MAJ du 07.08.09 : Voir cette brève

Petit précis de lutte contre le copyright par Cory Doctorow - Sur Framablog - Bel article exposant clairement les enjeux culturels.

Une loi déconnectée de la réalité - Sur Libération - Un article parmi de nombreux autres sur la loi Hadopi.

Jacques Attali répond aux artistes - Sur Slate.fr - L’auteur-qui-a-un-avis-sur-tout reprend le modèle juridique qui gère les rapports du droit d’auteur à la radio et à la télévision pour en faire un modèle économique applicable aux FAI... (Je n’y crois pas trop, mais il faut explorer toutes les pistes)

• Creative Commons
Creative Commons : Soyons créatifs ensemble - Sur Framasoft - Explications, description
Creative Commons France
Creative Commons Suisse

Les droits d’auteur pour les nuls - Par Me Eolas - Explications très avisées sur le droit d’auteur en France.

Droits et images - Le respect du droit des images actuel dans la pratique - Par Eric Delcroix

Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins - Administration fédérale - Pour mes lecteurs suisses (il y en a quelques uns).

Je ne savais pas qu’il fallait sauver la photographie - Sur Déclencheur - J’ai déjà cité ce billet qui réagit à la pétition Sauvons la photographie.

Oeuvres orphelines - Comment le droit d’auteur sur les images se fait bousculer - Mon précédent billet sur le droit d’auteur.

Notes:

[1] Je ris doucement à la noble idée qui est émise en préface de l’édition française, mentionnant qu’aucun politique - entre autres - ne peut faire l’impasse sur la lecture de ce livre (128 pages A4 en 2 colonnes bien serrées en corps 8 !). Je pense qu’aucun des membres de l’assemblée qui a voté la loi Hadopi ne s’y est astreint, mais j’ai sûrement mauvais esprit ;-)

[2] L’ennui avec les histoires édifiantes, c’est que l’auteur utilise toujours celle « qui va bien » avec ce qu’il veut nous faire accepter en oubliant que ça se complique un peu quand on prend d’autres exemples ;-)

[3] Il a déjà été abondamment question, ici et ailleurs, des problèmes liés au fait qu’on ne peut pas transposer le modèle de la citation textuelle au monde des images. Un morceau de texte judicieusement choisi est porteur de sens - ou d’un certain sens qui ne trahit pas forcément l’oeuvre. Il est, du reste, typographiquement et syntaxiquement signalé comme tel, nous informant de son statut et sur le sens à y prêter. Imaginez la transposition de ce principe aux images... vous voyez bien, cela ne marche pas !

[4] « Trouvé sur internet » est une expression qui fait florès. Sur Google, elle retourne 18 700 000 occurrences. Elle donne une idée de la quantité des « emprunts » dûment revendiqués qui se font sur internet. Question sourçage, il n’y a pas plus vague, mais ça vous donne un petit air de « gentil pirate débrouillard à qui on ne la fait pas ».

[5] Les photos en DR (Droits réservés) dont l’usage est de plus en plus fréquent, sont des photos dont on n’a pas pu (ou voulu !) retrouver l’auteur. Elles sont bien entendu le principal argument des apôtres de l’enregistrement des oeuvres sur un registre centralisé.

[6] En rêvant un peu, on pourrait imaginer une fonction automatique et non désactivable qui présenterait les signatures et autres mentions obligatoires au survol de la souris sur toutes les parutions en ligne. Cela éviterait du coup le travail, un peu fastidieux pour les éditeurs, de sourcer leurs images et contournerait les manquements des oublieux des bonnes pratiques.

Béat Brüsch, le 26 mars 2009 à 23.21 h
Rubrique: Droit des images
Mots-clés: blogosphère , copyright , droit
Commentaires: 1

Lundi soir à Pékin, un spectaculaire incendie s’est déclaré suite à un feu d’artifice tiré pour l’inauguration d’un immeuble de 29 étages, haut de 159m. La tour devait abriter un hôtel de luxe et un studio de télévision. Seul un pompier est mort dans l’incendie. L’immeuble en feu se situait à proximité de la tour de 234m abritant la Télévision centrale chinoise (CCTV). Cela fait évidemment un peu désordre au pays des inventeurs du feu d’artifice ! Le gouvernement a immédiatement interdit aux blogueurs toute diffusion sauvage d’images sur internet. Seules les images officielles seraient tolérées. C’était sans compter avec l’ingéniosité des blogueurs chinois qui ont été nombreux à détourner la consigne en parodiant allègrement les images de l’incendie, trop contents de démontrer ainsi leur ressentiment vis-à-vis de la télévision d’état.

Par certains côtés (la photo d’un accident retouchée par des quidams) cette histoire peut faire penser à celle du Tourist Guy dont je vous parlais ici. Mais il s’agit cette fois d’un véritable contournement de la censure (et aussi d’un pied de nez au gouvernement ;-), alors que pour le Tourist Guy, ce n’était au départ qu’une plaisanterie un peu idiote que seule la viralité a fini par transformer en phénomène exutoire d’une catastrophe. Ici, si exutoire il y a, il semble se situer au niveau de la bravade.

Cet incendie s’est déroulé lundi soir (le 9.2), China Digital Times rapporte le phénomène dès le lendemain (le 10.2)... on peut dire que la réactivité des blogueurs chinois est sidérante. Sur un autre plan, remarquez combien les films catastrophe occidentaux imprègnent leur imaginaire.

Sources presse : China Digital Times du 10.2, Le Monde du 11.2
Sources images : chinaSMACK et My Blog

Béat Brüsch, le 12 février 2009 à 01.42 h
Rubrique: Les nouvelles images
Mots-clés: amateur , blogosphère , retouche , viralité
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Signalée hier par plusieurs sites internet, la publication des archives photographiques de Life par Google n’a pas (encore ?) fait beaucoup de bruit, juste quelques applaudissements. « ...ils sont sympas » nous dit bienbienbien.net, à qui on ne la fait pas. Oui, vraiment sympas de nous offrir toutes ces photos gratuitement ! (gratuitement ?) Soucieux de droits d’auteurs, mais aussi de sources de photos gratos (chacun ses contradictions : c’est un réflexe de blogueur, on ne se refait pas ;-) j’ai cherché à savoir ce qu’il en était des droits pour ces images. On a beau fouiller dans tout le site... hormis un tout petit © Time Inc. dans un coin, il n’y a rien de rien pour les légalistes. Alors que sur n’importe quel blog présentant les photos de son chat on trouve des indications inratables de leur statut légal, il ne se trouve rien de tel ici. Bizarre, non ? Bon, il y a un lien qui nous mène vers une société commerciale proposant des tirages papier, mais cela ne nous indique pas clairement ce qu’on a le droit de faire de ces photos.

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Gangster Mickey Cohen sitting amongst the front pages of newspapers that helped make him the city’s’ most infamous citizen.
Los Angeles, 1950 - Photographer : Ed Clark - © Time Inc.

Que cherchent-ils chez Google ? Ces chérubins ne prévoient-ils pas que des photos de cette qualité, accessibles directement dans des grands formats inhabituels sur le web, seront pillées en masse ? Avec cette opération, Google augmente encore un peu son prestige de pourvoyeur gratuit de documents du patrimoine culturel mondial. Mais, en omettant sciemment d’aborder clairement les questions de copyright, il tend à accréditer un peu plus l’idée que sur le web tout est gratuit et surtout chez Google. Et ça marche. Entendu ce matin aux infos de 10 heures sur RSR1 : (à propos des photos de Life sur Google) « ...accessibles gratuitement ». Gageons que ce terme sera interprété à loisir, selon les intérêts de chacun. Et que le principe du droit d’auteur s’en trouvera encore un peu plus embrouillé. (Voir mon billet sur les oeuvres orphelines)

Ah ben tiens, je vais en mettre une, de ces photos. On verra bien s’ils m’envoient leurs avocats...


Addenda du 19.11.2008:

On en apprend un peu plus sur les dispositions légales pour ces images. Dans une interview à Photo District News (PDN), Andrew Blau, le président de Life, déclare en substance que sa compagnie fermera les yeux sur les utilisations non commerciales de ses images et que les blogueurs qui copient/collent leurs images ne sont pas leur première préoccupation (on s’en doutait quand même un peu ;-) Ce qui les intéresse bien plus, comme cela a été remarqué en commentaires, c’est les gros poissons commerciaux et c’est bien pour cela qu’ils se sont associés avec Getty Images (ça va saigner !) En passant, PDN a aussi remarqué qu’il n’y a pas d’indication sur le site quant à l’usage qui peut être fait ou non de ses photos.

Mais je ne vais pas tout vous réécrire, voyez plutôt la VO ici.

Béat Brüsch, le 19 novembre 2008 à 16.04 h
Rubrique: Droit des images
Mots-clés: blogosphère , copyright , droit
Commentaires: 4
Oeuvres orphelines

Ces dernières années, on a beaucoup parlé des droits d’auteur sur la musique (téléchargements). Cela peut s’expliquer, en partie, par l’énormité des marchés concernés et leur concentration aux mains de quelques très grosses sociétés, puissantes et pas prêtes à céder leurs intérêts (les majors). Les droits sur les images représentent globalement d’assez grands intérêts aussi, mais ils sont très épars. Souvent ils sont gérés par les créateurs eux-mêmes (pas très doués en la matière) ou se répartissent en petites entités disparates ayant du mal à se faire entendre, ce qui les rend vulnérables. D’une part, les nouvelles technologies induisent de nouveaux usages qui ne tiennent pas grand compte du droit existant. D’autre part - et ce, depuis bien plus longtemps - des groupes d’intérêts, principalement éditoriaux, tentent toujours d’affaiblir le droit d’auteur. Quelques faits récents ajoutent des pièces à ce dossier et exigent même qu’on s’inquiète.


Petit compte rendu d’une décision de justice repris aussi par quelques sites francophones, dont celui-ci, d’où je tire la traduction suivante : « Google vient successivement de perdre deux procès en Allemagne pour son outil de recherche d’images en ligne. Le premier concerne le photographe allemand Michael Bernhard qui reprochait au moteur le fait que l’on retrouve une de ses photos sous copyright sur l’outil de Google. Thomas Horn, détenteur des droits de certains comics, faisait des reproches identiques au moteur américain. »

Bonne nouvelle serait-on tenté de dire, si l’on est un défenseur intégriste du droit d’auteur ! Mais ce serait aller un peu vite en besogne, car il est sûr que Google usera de toutes ses forces pour recourir contre cette décision, c’est son essence même qui est en jeu. Et il aura l’écrasante majorité des internautes avec lui. Tout cela n’a pas échappé à Marin Dacos - La Feuille - qui pose quelques bonnes questions et qui conclut par : « Et si la question n’était pas juridique ? »

Il s’agit ici du droit de citation,

qui est une sorte d’« exception permissive » à l’intérieur du droit d’auteur, prévue par les lois de la plupart des pays connaissant le droit d’auteur. Si tout le monde est à peu près d’accord sur la notion de citation textuelle, il n’en va pas de même pour les citations d’images. Comment citer des images ? Dans quel contexte peut-on citer des images ? Les citer en petit format ? Bien qu’imparfaite, l’idée parait séduisante et l’analogie avec la citation textuelle semble justement proportionnée, mais tous les pays ni tous les détenteurs de droits ne s’y résolvent. Les chercheurs du domaine de l’image réclament un droit de citation pour leurs publications scientifiques. Mais les journalistes faisant oeuvre de critique d’images, ne devraient-ils pas disposer de ces mêmes droits de citation ? Et les blogueurs qui parlent des images ? ;-)

Google, en tant que site d’indexation, s’est « arrangé » avec ce droit de citation, tant pour le texte que pour les images. Certes, le droit américain est plus permissif (fair use) et permet probablement les pratiques de Google. De fait, c’est donc le droit américain qui régit ces pratiques dans toutes les parties du monde où l’on reçoit Google ! [1] Et les internautes, vous, moi, en redemandent... preuve en soit, cet article qui (relatant la décision de justice dont je parle au début de mon billet) commence très fort en affirmant : « Encore un bel exemple du progrès frustré par le droit d’auteur. » Cette affirmation, un tantinet réductrice (ainsi que les commentaires qui suivent l’article), donne un ton qui est, qu’on le veuille ou non, très représentatif du courant dominant chez l’internaute Lambda. [2] La pratique de la citation est en voie de généralisation sur les blogs et sur tous les sites dits « non commerciaux » et cela, en parfaite connaissance de son caractère illégal. On peut être sûr que, sous diverses pressions et à cause de la difficulté des poursuites - trop de cas, pour des montants trop faibles - ce droit de citation va s’établir progressivement partout. De leur côté, les « institutionnels » ou les « commerçants » scrupuleux, pour qui il n’est pas possible de se mettre hors la loi, feront tout pour faire amender ce droit.

Voilà sommairement, pour le droit de citation des images. Mais ce qui advient dans ce contexte, presque marginal du droit d’auteur, n’est pour moi qu’un laboratoire de ce qui arrive au droit d’auteur des images dans son ensemble...

Diverses pratiques, observées massivement sur internet,

entrainent une disqualification progressive de ce droit d’auteur. Il n’échappe à personne que le « pompage » d’images y est généralisé. La mise en place des règles des Creative Commons n’est rien d’autre que la (tentative de) mise à niveau du droit. Elle a le grand mérite de prôner une séparation claire des utilisations commerciales et non commerciales et de rendre attentif à l’obligation de la mention de l’auteur. C’est déjà çà et on peut regretter que cette approche ne soit pas mieux comprise et utilisée, tant par les amateurs que par les professionnels.
• Les sites qui comme Youtube ou Flickr proposent des images ou des vidéos embedded, c’est-à-dire des contenus qu’on a le droit de relayer directement depuis son site aussi simplement qu’on le ferait avec la photo de son chat, contribuent (même si ce n’est pas leur but) à jeter de la confusion sur les notions de droit d’auteur. Certains utilisateurs ne saisissent pas complètement la différence entre l’embedding et l’appropriation pure et simple d’images « trouvées » sur le net.
• De nombreuses institutions publiques principalement anglo-saxones [3] ont déjà mis leurs collections de photos en ligne, souvent en libre accès (sous Commons). On ne peut évidemment que s’en réjouir. Mais bientôt, le public ne va plus comprendre pourquoi ces photos-là sont libres, alors que d’autres ne le sont pas et que d’autres encore le sont sous certaines conditions.
• Je ne reviendrai pas ici sur les droits liés à la musique (dont il a été largement traité ailleurs) si ce n’est pour relever qu’en la matière, le public est au moins d’accord sur le fait que la musique est le fruit d’un travail créatif qui n’est pas à la portée du premier venu et qui mérite d’être rétribué d’une manière ou d’une autre. Ce n’est plus la même chose pour la photographie, car, avec la formidable extension de la photo numérique on assiste à une banalisation extrême du geste photographique. Il est devenu tellement facile aujourd’hui d’obtenir une photo à peu près correcte et immédiatement exploitable, que beaucoup se demandent pourquoi on paierait encore quelqu’un pour le faire (ou l’avoir fait). On assiste à un grand paradoxe : d’un côté, la photo créative n’a jamais été aussi trendy (reconnaissance, prix, expositions, marché, galeries, etc), alors que dans les pratiques de tous les jours (utilitaires, pourrait-on dire) l’usage de la photo est devenu trivial. Il y a donc d’un côté, les « belles photos » que l’on respecte, et de l’autre, toutes les photos « normales » dont tout le monde peut disposer à sa guise. Bien évidemment, chacun fait valser les photos d’une catégorie à l’autre au gré de ses aspirations (arbitraires) ou de ses besoins momentanés.

Cette perception confusionnelle du statut des photos est relativement nouvelle. Elle est bien sûr très marquée sur internet, mais elle tend à s’étendre à d’autres sphères. L’affaiblissement des positions des détenteurs de droits qui en résulte n’a pas échappé à certains milieux ultralibéraux qui bataillent depuis toujours pour une dérèglementation du droit d’auteur à leur profit. Leur dernière grosse (grossière ?) attaque envers le droit d’auteur des images est arrivée des États-Unis vers le mois d’avril de cette année. Elle a fait l’objet de plusieurs alertes sur internet (en partie relatées sur ce blog). C’est l’affaire des oeuvres orphelines.

Une oeuvre orpheline

est une oeuvre protégée par le copyright, dont il est difficile, voire impossible de déterminer le détenteur des droits. Jusqu’à aujourd’hui, en conformité avec la Convention de Berne, toute oeuvre (...) est automatiquement protégée, du moment qu’elle existe (je simplifie). Ce principe rend l’usage d’oeuvres orphelines assez difficile, car il faut effectuer d’intenses recherches, pour au final, ne pas toujours trouver les ayants droit. Si l’image est déclarée orpheline, l’éditeur n’est pourtant pas à l’abri de surprises quand un ayant droit se déclare soudain. Le problème est peut-être bien réel, mais on perçoit immédiatement que la solution proposée poursuit des buts bien différents... Le projet de loi présenté au sénat américain propose de créer des bases de données d’images (payantes) dans lesquelles toutes les oeuvres protégées devront être inscrites pour être légalement protégées ! Je vous la redis pour que ce soit bien clair : Toutes les oeuvres non déclarées, quelle que soit leur provenance (le monde entier), pourront être utilisées sans copyright sur le sol américain ! Cela a créé une forte mobilisation de toutes les associations concernées aux États-Unis. Il semble qu’en Europe, on ne se sente que modérément touché... Pour beaucoup de photographes, le marché américain n’est pas une préoccupation. Mais ils changeront peut-être d’avis quand des éditeurs européens auront délocalisé leurs activités sur le sol américain... ou quand les grandes agences de pub feront travailler leur maison mère américaine avec des images « trouvées » en Europe !

Le Sénat américain ne s’occupe pas que des soubresauts de l’économie, le 26 septembre il a admis cette loi sans opposition ! Elle devrait bientôt être présentée à la Chambre des Représentants puis au Congrès. L’entrée en vigueur pour les oeuvres graphiques et photographiques est prévue pour le 1.1.2013. Le minimum serait certes de pétitionner - pétition ouverte au monde entier en ligne ici. Mais je pense qu’aujourd’hui, il est plus urgent et utile d’actionner des leviers politiques, en soulignant que cette loi, si elle est finalement adoptée, non seulement violerait les conventions internationales, mais affaiblirait considérablement le statut des créatifs du monde entier. Pour info : les 2 plus grandes banques d’images, Corbis et Getty, sont favorables à cette loi.

Si vous pensez que le phénomène des oeuvres orphelines et la tenue d’un registre des oeuvres à protéger est marginal, détrompez-vous. Olivier Ertzscheid, sur affordance.fr nous raconte combien Google a bataillé (et payé, finalement pas cher au regard des bénéfices attendus) pour pouvoir devenir à la fois le plus grand bibliothécaire et le plus grand libraire du monde ! Mais les livres, ce n’est qu’une étape. Le prochain objectif de Google, ce sont les films et la musique. Pensez-vous que les images (qui ne bougent même pas !) vont peser lourd dans cette bataille, si même le Congrès américain prépare le terrain à Google ?

Liens utiles :

Dont certains déjà cités plus haut

• Droit de citation
Pour un droit à la critique des images - ARHV - 24.09.2007
La publication scientifique en ligne face aux lacunes du droit français - ARHV - 22.08.2008

• Oeuvres orphelines
Dossier : Orphan Work Bill - bulb - 07.06.2008
Nous voulons vos photos - Edito de Photographie.com - 09.10.2008
Main basse sur les images orphelines - Bon article de Télérama que je viens de trouver et qui vous confirmera que je ne vous raconte pas des salades ;-)
A Million People Against the Orphan Works Bill - Pétition en ligne ouverte à tout le monde
Orphan Works Opposition Headquarters - Un des sites des opposants - La pétition qu’on y trouve ne convient pas aux extrazétazuniens. Par contre on peut y inscrire des Associations de tous pays !
Illustrators’ Partnership Orphan Works Blog - Autre site d’opposants - avec une lettre type pour artistes internationaux

• Documents droit d’auteur
Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins - La révision partielle du droit d’auteur est entrée en vigueur le 01.07.2008
Page suisse de Creative Commons
Page française de Creative Commons
Page dédiée au droit d’auteur de Photoreporters - Swiss Press Photogaphers

Notes:

[1] Avec quelques exceptions douloureuses dans certains pays dictatoriaux.

[2] L’internaute Lambda est celui qui est habitué à recevoir tout gratuitement, sans s’être jamais posé de vraies questions sur les coûts réels des choses, fussent-elles immatérielles. S’il peut être occasionnellement producteur de contenus de valeur, il ne l’est pas professionnellement. Il est, en général, incapable de mesurer l’investissement intellectuel et matériel que requièrent certains des biens qu’il consomme. Il n’a entendu parler de droits d’auteur pour la première fois que récemment, à l’occasion d’une quelconque histoire de musiques téléchargées sur internet. Ce n’est pas un mauvais bougre, plutôt sympa, mais sûr de lui, il est pour le progrès, contre la guerre, contre le cancer, etc. Et il est très « nombreux »... puisque nous avons tous en nous un peu d’internaute Lambda.

[3] Liste non exhaustive ici.

Béat Brüsch, le 30 octobre 2008 à 18.22 h
Rubrique: Droit des images
Mots-clés: blogosphère , copyright , droit
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