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mot clé «viralité»

Je ne suis pas allé voir les images de Neda, innocente jeune fille iranienne morte devant une caméra dans les rues de Téhéran. J’ai hésité, puis j’ai lu les commentaires sur le blog d’André, j’ai lu aussi le vibrant billet d’Olivier. Non, je n’ai pas pu...

Mais, au lendemain de l’avoir découverte, cette image non vue me hante encore. Elle habite mes pensées bien plus que si je l’avais vue. D’ailleurs, je crois que je l’ai vue... elle est comme toutes les images de mort directe qu’on peut voir. Douceur, brutalité, impuissance.

Cette image devait-elle « sortir » ? Bien sûr que oui. Grâce à des technologies difficiles à contenir, c’est tout ce qui peut encore s’échapper du couvercle que les Ayatollahs veulent installer sur le peuple iranien. Cette image, grâce à - ou à cause de - sa brutalité est un témoignage indispensable. À l’instar de la Petite fille brûlée au napalm ou de l’Homme de Tian’anmen, deviendra-t-elle mythique ? Il est trop tôt pour oser l’affirmer, mais quelque chose me dit que sa vue est trop insoutenable pour le devenir. Ces images, pour devenir iconiques, doivent afficher une évidente force métaphorique, évoquer la mort plus que la montrer. On me rétorquera que l’image du Vietnamien tué d’une balle dans la tête est restée dans toutes les mémoires. Oui, mais c’est un instantané, en noir/blanc un peu bougé, qui grâce à ses « imperfections » conserve malgré tout un aspect évoquatif. On y voit moins la mort à l’oeuvre que dans la vidéo d’une agonie. Peut-être que l’image de Neda restera dans les consciences pour la raison que sa vue est insoutenable...?

Sommes-nous dans une escalade de la violence imagière ? Peut-être que la circulation des images nous a, en quelque sorte, blindés et nous amène à en vouloir toujours plus, sans tabous ? La faculté d’auto-publication inaugurée par les blogs permet de se passer de médiation, que celle-ci soit culturelle, politique, morale, économique ou plus simplement rédactionnelle. C’est un caractère nouveau qui n’est pas toujours pris en compte lorsqu’on évoque les changements de société induits par les nouvelles technologies. La rapidité, la facilité ou la gratuité sont des facteurs certes positifs, mais qui ne favorisent pas forcément une mise en perspective. Les matériaux publiés sont souvent bruts : à vous de vous débrouiller avec !

Sans cesser d’être voyeurs, essayons de rester regardeurs.

Béat Brüsch, le 22 juin 2009 à 16.50 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: mythe , médias , société , viralité
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Lundi soir à Pékin, un spectaculaire incendie s’est déclaré suite à un feu d’artifice tiré pour l’inauguration d’un immeuble de 29 étages, haut de 159m. La tour devait abriter un hôtel de luxe et un studio de télévision. Seul un pompier est mort dans l’incendie. L’immeuble en feu se situait à proximité de la tour de 234m abritant la Télévision centrale chinoise (CCTV). Cela fait évidemment un peu désordre au pays des inventeurs du feu d’artifice ! Le gouvernement a immédiatement interdit aux blogueurs toute diffusion sauvage d’images sur internet. Seules les images officielles seraient tolérées. C’était sans compter avec l’ingéniosité des blogueurs chinois qui ont été nombreux à détourner la consigne en parodiant allègrement les images de l’incendie, trop contents de démontrer ainsi leur ressentiment vis-à-vis de la télévision d’état.

Par certains côtés (la photo d’un accident retouchée par des quidams) cette histoire peut faire penser à celle du Tourist Guy dont je vous parlais ici. Mais il s’agit cette fois d’un véritable contournement de la censure (et aussi d’un pied de nez au gouvernement ;-), alors que pour le Tourist Guy, ce n’était au départ qu’une plaisanterie un peu idiote que seule la viralité a fini par transformer en phénomène exutoire d’une catastrophe. Ici, si exutoire il y a, il semble se situer au niveau de la bravade.

Cet incendie s’est déroulé lundi soir (le 9.2), China Digital Times rapporte le phénomène dès le lendemain (le 10.2)... on peut dire que la réactivité des blogueurs chinois est sidérante. Sur un autre plan, remarquez combien les films catastrophe occidentaux imprègnent leur imaginaire.

Sources presse : China Digital Times du 10.2, Le Monde du 11.2
Sources images : chinaSMACK et My Blog

Béat Brüsch, le 12 février 2009 à 01.42 h
Rubrique: Les nouvelles images
Mots-clés: amateur , blogosphère , retouche , viralité
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Images mensongères

Dans un précédent billet, je vous parlais des images d’actualités détournées par Matthias Wähner. Je me demandais à quoi ressemblerait un exercice similaire aujourd’hui, alors que les moyens de production et de diffusion des images sont bien différents. De fait, il ne se passe pas un jour sur internet sans que des plaisantins s’amusent à bidouiller des images d’actualité. En général on reste dans le registre satyrique. Le résultat peut être désopilant et fort à propos (rarement), mais il peut aussi se révéler naïf, maladroit ou de goût douteux (on peut cumuler !). Il y a des sites entièrement dédiés à cette activité. Mais l’histoire qui suit est assez exemplaire de ce qu’internet peut engendrer dans ce domaine. Peu de jours après le crash du 11 septembre 2001, cette photo a énormément circulé sur internet et a été vue par des millions de personnes. On y voyait un touriste innocemment photographié sur une terrasse du World Trade Center alors qu’un avion allait percuter la tour dans la seconde suivante. L’appareil photo contenant le cliché aurait été retrouvé dans les décombres... Il s’agissait d’un faux. Mais point de démarche artistique, éducative ou sociale dans cette photo. Juste un peu d’humour noir. Son auteur, le hongrois Peter Guzli, voulait faire un gag à ses amis et c’est « à l’insu de son plein gré » que son image a été rapidement diffusée dans la webosphère. Il y avait peu de blogs en ce temps-là et Flickr n’existait pas encore. C’est donc principalement par e-mail et sur des forums qu’a circulé la photo. Et c’est tout aussi rapidement, que les sceptiques ont noté un faisceau d’invraisemblances, jetant le discrédit sur l’image.
Comment cette image a-t-elle pu s’imposer ? Pour qu’un canular, une rumeur, ou une légende urbaine puisse l’emporter il faut un terrain favorable et celui-ci l’était largement. Dans les jours et les semaines qui ont suivi les attentats, la population américaine et le reste du monde ont été complètement choqués. Des milliers de photos et de vidéos ont été vues, quasiment en boucle. Il y eut une surenchère d’images à couper le souffle et de témoignages déchirants de victimes et de survivants. Dans cette atmosphère de grande émotion, l’image a trouvé son public le plus naturellement du monde. Le sens critique s’est trouvé comme paralysé par la démesure des images qu’on avait déjà vues. La diffusion virale a fait le reste : l’image étant forte, elle a plu et fut reprise et diffusée exponentiellement sans même que les diffuseurs ne s’en rendent compte.
Ce qui se passe ensuite n’est pas moins intéressant et ressort de ce que j’appelle « la santé » du web. Une fois découvert, l’auteur du bidouillage fut affublé de plusieurs surnoms, dont celui de « Tourist Guy » et de « Tourist of Death ». Il fut remis en scène de très nombreuses fois par la communauté des internautes, trop contente de montrer ses compétences en matière de bidouillages. On retrouve ainsi notre touriste dans les situations les plus diverses, en général impliqué dans des catastrophes, qui vont de l’assassinat de Kennedy à l’explosion du Hindenbourg, en passant par le naufrage du Titanic ! Cet esprit d’à-propos et cette réactivité sont une caractéristique majeure de l’internet. Faut-il en conclure que les internautes sont des gens plus dégourdis que les autres ? Bien que différentes études statistiques aillent dans ce sens, je ne m’aventurerai pas sur ce terrain un peu glissant... mais on pourra deviner que la thèse me séduit :-)) D’autres évidemment, ne manqueront pas de fustiger à nouveau cet internet qui décidément ne respecte rien ! De nombreux sites parlent de cette affaire qui fait désormais partie du folklore du net. Le site touristofdeath.com y est exclusivement consacré. Il se fait fort de proposer dans sa galerie un archivage de ces images recueillies avant qu’elles ne disparaissent de la mémoire des serveurs. L’ennui, c’est qu’à l’heure où je publie, sa base de données est en panne ! On touche là à une autre caractéristique d’internet : rien n’y est moins permanent qu’une archive ! Mais Google veille au grain : il m’a permis de retrouver plus d’une 50aine d’images. Prises isolément, elles sont d’un faible intérêt. C’est l’ensemble qui est fascinant. En voici tout de même 2 dont la malice m’a plu, car elles mettent en jeu des images préalablement altérées (Forrest Gump de Robert Zemeckis - Retouche d’image de bombardement à Beyrouth).


Addenda du 16.01.08 : La base de données qui alimente la galerie recueillant tous les avatars du Tourist Guy est maintenant réparée. Et c’est hénaurme ! Il y a aujourd’hui 1334 images en ligne. Voici le lien direct vers la galerie. (Si vous surfez depuis le bureau, pensez à reprendre votre travail de temps en temps :-)

Béat Brüsch, le 16 décembre 2007 à 17.40 h
Rubrique: Les nouvelles images
Mots-clés: amateur , blogosphère , retouche , viralité
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