Mots d'images


Document brut, hier soir dans Metropolis, sur Arte. [1] Rebecca Manzoni nous annonce, en substance : « C’est un métier qui va bientôt passer dans la catégorie « disparu ». Avec le numérique, l’argentique, c’est bientôt terminé. Et Françoise Huguier le déplore. » On assiste alors à une séance de travail plutôt banale entre Françoise Huguier et son tireur Gérard Binisti, dont on ne retire pas grand-chose. Un peu plus rouge ici un peu moins foncé là, bref la popote ordinaire. On aurait voulu savoir, peut-être, pourquoi l’argentique serait plus approprié pour ces photos là...? Ou bien pourquoi la dame elle ne fait pas des images comme tout le monde, en numérique et en les ajustant avec précision sur Photoshop...? On ne le saura pas, mais le fantasme du « c’était-quand-même-mieux-avant » a été instillé au passage. Pourtant, le dernier plan du reportage est révélateur (si j’ose dire) : on y voit la photographe argentique photographiant les trois tirages d’essai avec son iPhone. Quand on vous dit que le numérique est en marche !

Notes:

[1] Ça repasse en ce moment et c’est visible en ligne ici, dès la 34e minute (mais j’ignore pour combien de temps...)

Béat Brüsch, le 7 novembre 2010 à 18.07 h
Rubrique: Regarder en ligne
Mots-clés: argentique , numérique , photographe
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Les amateurs de photo de Suisse romande sont gâtés en ce mois de septembre puisque deux importantes manifestations leur sont ouvertes : le festival Images de Vevey et les Journées photographiques de Bienne.

Le festival Images propose de nombreux accrochages en plein air dans divers endroits de la ville, parcs publics, le long des quais, avec en particulier des photographies monumentales sur des façades de bâtiments. JR, qui s’est rendu célèbre par ses interventions urbaines, a plaqué des collages géants à partir de recadrages de photos célèbres tirées des archives du Musée de l’Élysée. Au chapitre des réalisations monumentales, signalons aussi une oeuvre de Renate Buser, désormais coutumière du festival.

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© Renate Buser

On nous propose aussi de nombreuses expositions en intérieur, grâce notamment aux grands locaux provisoires de l’ex-centre commercial EPA. Le programme manque peut-être d’un peu d’unité autour d’un thème, mais il est alléchant (je n’y suis pas encore allé), même s’il y a quelques séries déjà vues ailleurs. (Mais cela n’est pas un mal, car tout le monde ne va pas chaque année à Arles et ce n’est pas parce qu’on a vu des photos une fois qu’il faut ensuite les jeter ;-) Le programme complet ici. C’est (déjà) ouvert du 4 au 26 septembre 2010. Lire aussi cet article du Courrier.

À Bienne, aux Journées photographiques, si l’accrochage y est plus sage et plus classique, je ne m’attends pourtant pas à des expositions empreintes de sérénité. Les journées photographiques sont plutôt orientées vers la jeune photographie.

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© Corinne Vionnet

Le thème de cette année est « Collatéral ». Il renvoie à des images « à l’envers » des habitudes, comme les célèbres photos d’Olivier Culmann qui, tournant le dos aux ruines, a photographié les gens venus voir Ground Zero après le 11 septembre. Les expositions se tiennent dans différents lieux culturels de la ville. Le programme complet ici. C’est (déjà) ouvert du 4 au 26 septembre 2010.

Signalons que l’exposition ReGeneration2, au musée de l’Élysée ferme aussi le 26 septembre. (Celle-là je l’ai vue, ouf :-)

Béat Brüsch, le 10 septembre 2010 à 12.42 h
Rubrique: Voir de ses yeux
Mots-clés: exposition , voir
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Belle image, irréelle et amusante, aujourd’hui sur le site d’Astronomy Picture of the Day. Juste comme ça pour l’été, pour le rêve, pour la légèreté, en passant. Mais juste comme ça en passant, cela ne m’empêche pas de remarquer que chez les astronomes, on ne publie pratiquement que des photos bidouillées et que cela ne pose jamais de problème. Toutes les manips, qu’elles soient dans le dispositif de prise de vue ou postproduites sont consciencieusement déclarées, expliquées. N’a-t-on jamais traité les astronomes de menteurs ?

Voir l’original et les explications ici.

Béat Brüsch, le 3 août 2010 à 13.06 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: photojournalisme , photomontage , presse , retouche
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Certains observateurs, au nombre desquels je me compte, ont noté que les photographies sont de plus en plus utilisées en tant qu’illustrations par la presse. Ce distinguo ouvre le champ de la photographie de presse à des pratiques habituellement réservées à d’autres disciplines photographiques. Cela ne va pas sans grincements, car les règles du jeu ne sont pas toujours connues et il arrive même qu’elles varient en cours de partie. Chaque nouvelle « affaire » nous arrache un soupir accablé qui se prolonge à la lecture des commentaires de certains blogs. L’incident de retouche qui défraie la chronique de ces derniers jours dans le monde anglophone ne dément pas cette impression de déjà vu. Nous avons, d’un côté, une presse qui prend certaines libertés avec la « sacro-sainte » vérité des photographies et de l’autre, des lecteurs qui, tels des vierges effarouchées, s’étranglent de dépit en se répandant en considérations naïves sur les trahisons des journalistes.

Il serait temps de clarifier le statut des images de presse à l’aune des pratiques récentes. On a dit et redit que les images ne représentent, au mieux, que ce que le contexte autorise. Le contexte n’est pas seulement constitué des éléments entourant la prise de vue, ses effets se poursuivent dans les conditions éditoriales. Il me semble que le public contemporain devrait être apte à comprendre qu’une photo illustrant une couverture de magazine est souvent à prendre comme une image servant en premier lieu à vendre ledit magazine. La profession journalistique est ici fautive de ne pas communiquer sur la différence entre images à caractère publicitaire et images au caractère documentaire incontestable. C’est le noeud du problème. La profession à trop longtemps - et jusqu’à l’usure - proclamé son objectivité. Forte de cette aura, elle ne peut plus maintenant nuancer cette affirmation. Elle y retrouverait pourtant une certaine crédibilité... si cela se peut encore.

L’affaire, donc... L’édition du 19 juin du magazine britannique The Economist présente, en couverture, une photo du Président Obama pensif, seul, sur une plage de Louisiane ensoleillée avec, à l’horizon, une plateforme pétrolière. Le journaliste du New York Times (NYT) Jeremy W. Peters a découvert la photo originale de Larry Downing (pour Reuters [1]) et en fait part sur son blog le 5 juillet. Sur cette image, on voit que le Président Obama n’était pas seul. Il était accompagné de Mme Charlotte Randolf, responsable d’une paroisse locale et de l’amiral Thad W. Allen des Coast Guard. Tous les deux ont été « éliminés » en postproduction, l’un par recadrage et l’autre par effacement. Rapidement, le blog du NYT fait une mise à jour en publiant un e-mail reçu de l’éditrice Emma Duncan, responsable de la parution de cette image au The Economist. Elle y affirme, en substance, que « Mme Charlotte Randolf a été effacée de l’image pour ne pas dérouter le spectateur par la présence d’une personne inconnue et que ce n’est pas la première fois que The Economist modifie des photos de couverture. Nous ne voulons pas tromper le lecteur. Nous voulions centrer le sujet sur M. Obama, mais pas dans le but de le montrer isolé. Le sujet de l’histoire n’est pas le dommage causé à M. Obama, mais au business des USA. » [2]

Petite nouveauté, cette fois : la rédaction fautive ne cherche pas à nier en s’enfonçant dans le ridicule comme l’avait fait ParisMatch avec les bourrelets présidentiels. Mais il faut dire aussi que la rédaction du The Economist s’est fait prier : sollicitée quelques jours avant la parution du billet sur le blog du NYT, elle n’a pas cru bon de réagir et ne s’est expliqué qu’une fois le billet paru. Les explications de Mme Emma Duncan sont maladroites et surtout incomplètes. À quand un exposé clair des considérations qui président à ces choix éditoriaux ? Pourquoi ne pas affirmer clairement qu’une image de couverture de magazine peut être fabriquée pour mieux porter une idée ? Le désir d’une image épurée est certes une très bonne raison pour opérer une retouche, mais dire que cela contribue aussi à mieux vendre - car une image simple, plus facile à décoder, est aussi plus vendeuse ! - serait un complément utile.

Comme on a déjà pu le remarquer, j’ai une conception assez libérale des pratiques de retouche. Celle dont nous parlons ici ne me choque pas plus que d’autres. Je pense que cette image de couverture est plutôt bonne et illustre bien l’idée d’un président fort préoccupé par le problème causé par cette gigantesque fuite de pétrole. Que la photo originale ait été différente ne me choque pas plus que cela. Ce qui me choque, c’est qu’on ne joue pas cartes sur table en ne nous disant pas tout sur le statut de cette image. Pourtant, The Economist n’en est pas à sa première couverture mettant en scène le Président Obama de façon illustrative, on en trouve plusieurs de ce type sur internet. Ces couvertures sont plutôt bien perçues, car en général, les éléments contenus dans l’image ne laissent aucun doute sur son aspect conceptuel. Souvent le président est replacé sur un fond non photographique. Avec le Golfe du Mexique, le fond était « trop beau » et l’ensemble correspondait parfaitement au concept voulu. On aurait pu le produire plus artificiellement, de manière à dénoter l’aspect fabriqué, mais cela aurait été moins efficace (tant du point de vue d’une « image-idée » que d’un point de vue « vendeur »).

Ne pas communiquer sur sa politique d’image et en particulier pour celles qui peuvent prêter à discussion, c’est infantiliser le lecteur. Il serait pourtant simple de mentionner - cela se fait dans certains magazines - une signature du genre « image réalisée avec trucage ». Plus généralement, on devrait pouvoir trouver dans l’impressum de chaque organe de presse une déclaration claire et complète de sa charte des images. Les organes de presse doivent cesser de se cacher derrière l’intangibilité d’une vérité photographique à laquelle plus personne ne croit. Il faut exposer aux lecteurs les contextes de parution des images. Ce double langage qui, d’un côté, prône tout un fatras de fausses vérités liées aux images, et de l’autre, est régulièrement pris en défaut dans la pratique est contreproductif. En entretenant ces déclarations de vérité, la presse rend tous ses dérapages encore bien plus insupportables.

Les commentaires sur le blog du NYT sont, à ce titre, exemplaires. Majoritairement contre cette retouche, beaucoup dénotent une forte déception, une vraie trahison de la part des journalistes. (Le fait que The Economist soit d’origine britannique, tout comme la société BP, ajoute une dimension au débat.) Comme souvent dans ce genre d’affaires on tombe sur quelques commentaires faisant le parallèle avec les trucages de photos staliniennes. C’est une sorte de point Godwin du domaine de la retouche photo ;-) Je rappelle à ces rescapés d’un autre âge que 1) les personnages supprimés des photos staliniennes l’étaient en général aussi physiquement, ce qui donne un certain vertige à ces retouches-là, et 2) que des ressources spécialisées [3] disposent d’un arsenal bien plus élaboré d’exemples et de propos sur la retouche.

Détail piquant : sur le blog du NYT, aucun commentateur, sauf un, ne s’est étonné de l’effet de téléobjectif faisant apparaitre une plateforme pétrolière comme très proche du rivage alors qu’en réalité elles en sont fort éloignées. Un commentateur relève qu’il s’est rendu des centaines de fois sur les côtes de Louisiane et n’y a jamais vu de plateformes pétrolières. Soit les gens connaissent bien cet effet optique et l’acceptent, soit ils pensent que les plateformes sont réellement tout près du rivage. Mais dans les deux cas, il faut reconnaitre qu’il s’agit d’une sérieuse déformation de la réalité. Et que de montrer le président Obama si proche d’une plateforme est peut-être tout aussi mensonger que de le montrer seul sur cette plage... À moins que les artifices dûment enregistrés par les appareils photo ne soient moins condamnables que ceux réalisés en postproduction ?

Notes:

[1] L’agence Reuters semble cette fois hors de cause. Échaudée par l’affaire Adnan Hadj en 2006, elle s’est depuis munie d’une charte sévère concernant les altérations des photos qu’elle diffuse. Ce qui ne l’a pas empêchée de se retrouver dans une mauvaise posture récemment, pour des retouches sur des photos prises lors de l’intervention sur le Mavi Marnara, le navire turc qui se dirigeait vers Gaza.

[2] Emma Duncan, deputy editor of The Economist, told us this about the cover in an e-mail message on Monday :

I was editing the paper the week we ran the image of President Obama with the oil rig in the background. Yes, Charlotte Randolph was edited out of the image (Admiral Allen was removed by the crop). We removed her not to make a political point, but because the presence of an unknown woman would have been puzzling to readers.

We often edit the photos we use on our covers, for one of two reasons. Sometimes — as with a cover we ran on March 27 on U.S. health care, with Mr. Obama with a bandage round his head — it’s an obvious joke. Sometimes — as with an image of President Chavez on May 15 on which we darkened the background, or with our “It’s time” cover endorsing Mr. Obama, from which the background was removed altogether — it is to bring out the central character. We don’t edit photos in order to mislead.

I asked for Ms. Randolph to be removed because I wanted readers to focus on Mr. Obama, not because I wanted to make him look isolated. That wasn’t the point of the story. “The damage beyond the spill” referred to on the cover, and examined in the cover leader, was the damage not to Mr. Obama, but to business in America.

[3] Voir par exemple :
sur Mots d’images le Petit observatoire de la retouche
sur Mots d’images avec le mot-clé retouche.
sur Culture Visuelle avec mot-clé retouche.

Béat Brüsch, le 8 juillet 2010 à 01.28 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: photojournalisme , retouche
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Le site Astronomy Picture of the Day (APOD), que j’ai déjà évoqué ici, a fêté hier ses 15 ans d’existence. Pour l’occasion, l’image du jour était un tableau de Vermeer - Le savant et le géographe - repixellisé par quelques-unes des 5000 images publiées sur le site. Ce procédé où les pixels sont remplacés par autant de photos n’est certes pas nouveau, mais cette espèce de mise en abîme est toujours spectaculaire.

Passer la souris pour voir avant/après

S’agissant de photos de la NASA, je ne peux m’empêcher de mettre cette image en parallèle avec celle publiée sur mon billet précédent qui faisait voir la première photographie numérisée connue. Quel chemin parcouru, depuis cette représentation de la planète Mars au moyen de gros pixels coloriés à la main, jusqu’à cette nouvelle image dont chaque pixel contient - en puissance - une photo de notre univers en haute résolution ! Le vertige technologique de 35 ans séparant ces deux images pourrait bien se calculer en années/lumières !

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Détail

D’autres éléments ont cependant retenu mon attention. Le tableau de Vermeer choisi avait déjà été utilisé une première fois pour célébrer les 5 ans d’existence d’APOD, puis à nouveau pour les 10 ans. Les deux astronomes, fondateurs et animateurs du site, Robert Nemiroff et Jerry Bonnell, se sont plu à se voir représentés ainsi. Une nouvelle version de cette image pour les 15 ans était devenue un passage obligé. Or, je n’ai pas remarqué tout de suite que le Vermeer en question n’a jamais vraiment existé... il s’agit d’un compositage de deux de ses tableaux ! [1]

Comment ai-je pu être leurré (un moment) par cet artifice ? Les auteurs de ce clin d’oeil ne le cachent pourtant pas, puisqu’ils indiquent sous l’image : « Credit & Copyright : Apologies to : Vermeer’s Astronomer and Geographer ». Pressés de découvrir l’image, nous ne nous attardons pas sur le titre du tableau et ne réalisons pas qu’il y est fait mention des 2 tableaux. Le mot « apologies » (excuses) aurait pourtant dû nous mettre la puce à l’oreille, tout comme la mention, plus loin dans le texte, d’un composite ! On a beau dire et redire que la légende est partie intégrante du dispositif photographique pour lui donner du sens, on ne se prête pas toujours à ce jeu !

Cet aller/retour entre texte et image qui nourrit le discours n’est sans doute pas jugé utile lorsque l’image qu’on nous montre semble connue et aller de soi. C’est du moins ce qui m’est arrivé, car je crois connaitre ce savant et ce géographe. Je les ai vus et admirés cent fois ; tellement que dans mon esprit, ils étaient déjà réunis dans une même image ! (Rangés dans le tiroir Vermeer, en quelque sorte ;-) Il faut dire que Vermeer a réalisé un bon nombre de ses peintures devant cette fenêtre et que pour le savant et le géographe il y a des similitudes, dans les objets du décor (table, tissu drapé, armoire, mappemonde, etc), jusqu’au modèle ayant posé pour le personnage. Selon les experts, les 2 peintures auraient été créées en vue d’être accrochées côte à côte. Dans cette Hollande du XVIIe, dont le commerce repose sur les performances de ses grands navigateurs, astronomie et géographie étaient deux sciences associées. [2] Voilà qui unit encore un peu plus ces 2 peintures ! Détail amusant : dans le montage on a gardé les 2 mappemondes visibles sur chacun des tableaux sources alors que nous savons qu’il s’agit du même objet ayant servi plusieurs fois de modèle.

Le petit nombre d’oeuvres de Vermeer - seuls 37 tableaux lui sont attribués - peut parfois donner l’impression qu’on sait tout de ce peintre. Il n’en est évidemment rien. La quantité n’est pas la mesure du génie d’un peintre, tout comme la dimension de ses tableaux - ceux de Vermeer étant de dimensions étonnamment modestes. La plupart de ses toiles sont très connues du public et je pense qu’ils doivent être nombreux, ceux qui comme moi, ont pris l’astronome et le géographe pour un unique tableau de Vermeer ;-)

La présence de Jan Vermeer dans ces pages, d’ordinaire consacrées à la photographie, n’est pas aussi étrangère qu’il y parait. Avec Léonard de Vinci, Vermeer aurait été un des peintres ayant le mieux utilisé la camera obscura pour la réalisation de ses vues. La surface sensible en moins, cette chambre noire ressemble étrangement aux premiers appareils photographiques.

Notes:

[1] L’astronome et le géographe

[2] Sur cette page de l’excellent site du catalogue de Vermeer (Special Topics)

Béat Brüsch, le 18 juin 2010 à 00.43 h
Rubrique: Regarder en ligne
Mots-clés: peinture , photomontage , retouche , science
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