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Les amateurs de beaux livres de photos noir/blanc ignorent parfois qu’il faut plusieurs couleurs pour faire du noir. Alors que nos écrans permettent d’afficher jusqu’à 256 niveaux de gris pour une photo en noir/blanc, une presse offset ne peut rendre qu’environ 50 niveaux de gris. Les photos reproduites avec cette seule couleur noire paraissent donc un peu grossières par rapport à l’original. Cette gamme de tons réduite ne laisse guère de choix à l’imprimeur : soit il privilégie de beaux noirs, soit il opte pour de beaux gris moyens ou encore de beaux blancs, chaque option se faisant au détriment des autres. Pour mieux rendre justice à l’infinité des tons de gris présents à l’origine, on a recours au procédé duotone (bichromie, en français).
L’astuce consiste à imprimer la photo en 2 couleurs, en répartissant judicieusement les niveaux de gris entre les 2 couleurs utilisées. La photo noir/blanc de départ est décomposée en 2 documents traités de manière différente :
• Pour le premier, on privilégie toutes les nuances des tons clairs en laissant les tons foncés peu différenciés. On imprime cette version avec une encre de couleur grise [1], généralement un gris « chaud ».
• Pour le deuxième, on ne garde que de légères nuances dans les tons clairs, alors que les tons foncés sont bien détaillés. Et c’est, bien sûr, la couleur noire qu’on imprime avec cette version. On obtient ainsi une image avec une étendue de gris bien plus grande. Du fait de l’utilisation d’un gris teinté, il se produit de subtiles différences de couleurs entre les gris clairs et les gris foncés. Le passage en couleur grise permet de retrouver des gris très clairs, qui ne seraient pratiquement pas reproductibles en dessous de 10% avec du noir seul. Le chevauchement des 2 couleurs donne quant à lui, une belle densité aux tons sombres. Mais regardons un exemple... (on peut cliquer sur chaque photo pour l’agrandir dans un popup.)

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Ci-dessus, la photo originale en noir/blanc.

Je n’ai malheureusement pas réussi à simuler de façon crédible, une image en 50 niveaux de gris, telle qu’elle serait reproduite sur du papier. Cette image est donc mieux rendue, du point de vue du nombre de niveaux de gris, qu’elle le serait sur papier.

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Le document pour le gris.

Les tons clairs sont privilégiés. On garde la couleur dans les tons foncés pour « soutenir » le noir.

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Le document pour le noir.

Les tons foncés servent surtout à souligner les détails, même dans les tons relativement clairs. Il y a, quantitativement, moins de noir que sur le document original.

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La superposition des 2 documents précédents donne une photo en duotone.

(Comme dit plus haut, la différence n’est pas criante sur un écran. Mais si vous ne voyez pas de différences, réglez votre écran ou changez-le ;-)

Le même duotone...
Le même duotone...

...passez la souris sur l’image pour comparer avec le document noir/blanc original.

Le mieux serait évidemment de (re)voir cela sur vos livres de photo. Par exemple, vous possédez sûrement des livres de la collection PhotoPoche•ActeSud. Les volumes imprimés en duotone y sont signalés en 4e de couverture. Vous constaterez que certains (probablement les plus anciens) ne sont pas en duotone. Comparez. Une manière de détecter le procédé est d’utiliser un compte-fil, ou une loupe à très fort grossissement, qui vous aident à distinguer les points de trame de 2 couleurs différentes. On peut évidemment étendre le procédé en réalisant des tritones et quadtones (trichromies et quadrichromies). C’est très raffiné, plus rare et ... plus cher ! De nombreux livres de photos noir/blanc sont réalisés en duotones. Le procédé s’applique aussi bien aux photos de provenance numérique qu’argentique (les argentiques sont de toute façon numérisées pour être imprimées).

On peut évidemment, pour d’autres besoins éditoriaux, réaliser des assemblages de couleurs plus « violents » dont les effets recherchés seront autres que d’augmenter le nombre de niveaux de gris.

Notes:

[1] La couleur du gris. Certains se demandent pourquoi on choisit généralement un gris chaud comme 2e couleur au lieu d’un gris neutre... Il existe bien une définition scientifique du gris neutre, mais celle-ci ne reste valable que dans des conditions précises d’éclairage. La couleur semble différente, dès que ces conditions changent. Ajoutez à cela les subjectivités de nos regards respectifs et vous comprendrez que la définition d’un gris neutre reste une gageure. Dès lors, puisqu’il faut faire des choix, c’est un gris chaud qui est souvent retenu, non seulement parce qu’il est plus flatteur pour l’oeil, mais surtout, parce qu’il correspond bien aux tons des tirages papier argentiques dont nous avons l’habitude.

Béat Brüsch, le 28 janvier 2008 à 16.20 h
Rubrique: Un peu de technique
Mots-clés: graphisme , impression , technologie
3 commentaires
Les commentaires sont maintenant fermés.
    1

    Très chouette démonstration, Béat. Merci ! J’aime ce genre de billet qui explique clairement un processus.

    Envoyé par La dame, le 31.01.2008 à 16.55 h
    En ligne ici
    2

    Mais je vous en prie ;-)

    Je pense en réaliser d’autres, car il me semble que cela manque. On trouve sur internet quantité de méthodes « pas à pas » pour réaliser cela sur Photoshop. Mais il y a bien des gens qui n’ont que faire de cela... ils voudraient juste savoir « de quoi ça retourne ».

    Envoyé par Béat, le 31.01.2008 à 17.28 h
    En ligne ici
    3

    exactement !!! Je m’abonne

    Envoyé par La dame, le 31.01.2008 à 20.21 h