Mots d'images


Depuis que la photo est devenue numérique, des traitements autrefois difficiles, voire inimaginables, sont devenus monnaie courante. Tous les bidouillages, du plus médiocre au plus talentueux, du plus innocent au plus crapuleux, sont aujourd’hui à la portée du premier venu. On pourrait penser qu’à la lumière de ces évidences, la croyance angélique en une vérité photographique perde du terrain, que l’on se rende enfin compte que le réalisme en photo n’est et n’a jamais été qu’une illusion. Mais c’est tout le contraire qui se produit : pour beaucoup, la méfiance qui s’installe n’est due qu’à l’informatique. Revolver Ce n’est pas parce que des « objets » ayant une existence incontestable y sont représentés, que l’image exprime pour autant une réalité objective. Cela convient peut-être à des esprits simples, mais une démarche photographique digne de ce nom ne saurait se contenter de si peu. Bref, on n’y peut rien, le mythe du réel en photographie revient toujours.

C’est sans doute pour nourrir encore un peu ce mythe que des technologies d’authentification de photo voient le jour. La firme Nikon a mis au point un logiciel de ce type, pour certains appareils de sa gamme pro. Il permet de déceler toutes les modifications réalisées après la prise de vue. Le Dartmouth College Computer Science Department (Hanover, USA) développe des recherches liées à la sécurité des images (Digital Image Forensics). Elles ont permis la mise au point de différents algorithmes capables de détecter des retouches dans les photos numériques. Si l’on peut comprendre l’utilité de ces recherches pour les domaines forensiques, judiciaires ou scientifiques, on peut aussi se demander comment la presse pourrait les utiliser, comme cela est suggéré par les promoteurs de ces services sécuritaires. La presse a ses propres règles éthiques et n’a pas vocation à se substituer à des centres de documentation, auxquels on demande de reproduire fidèlement et scientifiquement des images d’objets ou des documents. Mais peut-être qu’une presse lisse et neutre en arrangerait certains ?

Pour apporter de l’eau à son moulin, le Dartmouth College édite une page qui recense de nombreux exemples de photos retouchées. Alors que l’on s’attendrait de la part de ces chercheurs à des exemples tirés de la sphère de l’expertise juridique, ce n’est pratiquement que la presse Dixiequi est mise au pilori. On y trouve un joyeux mélange d’exemples très divers : certains, du domaine des pipoles sont d’une gravité toute relative alors que d’autres sont vraiment malhonnêtes. D’autres encore ne devraient simplement pas figurer dans cette liste. Tel ce montage « métaphorique » (ci-contre) dont personne ne peut douter un seul instant que ce soit un montage ! Amalgamer ce travail d’illustration satyrique avec des montages délictueux témoigne d’un manque de discernement crasse... à moins que ce ne soit une tentative d’embrouiller le visiteur en mettant la pression sur une presse un peu trop critique ?

Cette tendance à mélanger les genres est très répandue. Pourtant il convient de distinguer clairement les photos de presse des photos dites illustratives. Rappelons que les photos illustratives n’ont pas de rapport direct avec l’actualité et ne prétendent pas présenter des faits. Elles évoluent de préférence dans le domaine des idées ou au pire, dans la décoration de pages jugées trop monotones ! Quand la presse les utilise, il n’y a en général pas d’équivoque. Et les retouches ou photomontages réalisés dans ces circonstances sont nettement perçus comme tels.

L’image au sens le plus large, est un des champs les plus stimulants pour l’esprit humain. C’est l’archétype de son développement culturel. Un des caractères qui nous différencie des animaux. Allons-nous, pour des susceptibilités sécuritaires, assister à la mise en coupe réglée de notre imaginaire ?

Béat Brüsch, le 11 novembre 2006 à 01.10 h
Rubrique: Les nouvelles images
Mots-clés: manipulation , photomontage , retouche
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