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Le World Press Photo a distribué ses lauriers. La « Photo of the Year » est de Anthony Suau (USA, pour Time). Comme chaque année ce prix sera discuté, critiqué, esquinté, loué. On peut se demander s’il est juste de couronner une seule photo parmi les 96’268 photos reçues ou même parmi les nombreuses photos lauréates des différents prix. C’est probablement utile du point de vue du marketing, car les médias pensent que leurs clients seront plus réceptifs à une seule photo, championne toutes catégories, star d’un instant. Et bon, c’est facile, on montre la photo vite fait avec son communiqué de presse et on passe à autre chose, il y a encore tellement de pipoles à voir, n’est-ce pas !

La question mérite d’être posée, en particulier cette année, car l’image retenue montre de façon exemplaire comment une photo peut s’avérer nulle quand elle est sortie de son contexte. L’image de cette année est absolument incompréhensible sans sa légende. Mais il ne s’agit pas que de cela, car cette photo fait partie d’un ensemble qui est tout à fait cohérent et dans lequel cette photo trouve sa juste place. Je trouve même la série tout à fait intéressante et convaincante. Isoler cette photo, même si c’est pour la consacrer, est une mauvaise action. Une mauvaise action vis-à-vis de son auteur, qui l’a pourtant bien présentée dans un ensemble, choix que l’on devrait respecter. Une mauvaise action aussi, pour le photoreportage en général, car ce n’est pas en célébrant une photo-devinette qu’on fera la promotion d’une activité qui peine toujours à trouver son public. (Je ne vous présente pas la photo, vous la verrez partout :-)

Passé cet énervement, je trouve que l’ensemble présenté cette année est riche et d’une belle qualité. J’entendais l’autre jour, le rédacteur photo d’un magazine d’information hebdomadaire, constater que la photo de presse n’apportait rien de nouveau depuis Capa. A moins de demander aux photos de bouger et - pourquoi pas - d’être sonores, ce n’est pas exactement le sentiment que l’on a en sortant de la visite du World Press Photo de cette année. À côté de quelques clichés déjà remarqués au cours de l’année, j’y ai personnellement fait de belles découvertes. Trop nombreuses à énumérer, je reviendrai peut-être sur certaines... En attendant, voici juste un coup de coeur : la série de Julian Abram Wainwright (Canada) montre des plongeurs lors des jeux de Pékin. Les images en noir/blanc, bien contrastées, sont d’une beauté formelle rarement atteinte en photo de sport.

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Kenya’s post election violence
© Walter Astrada - AFP

Les images de l’actualité dramatique mondiale sont toujours aussi poignantes (le tremblement de terre en Chine) et poseront certainement les questions récurrentes sur l’esthétisation de la violence. Pour y réfléchir, on regardera par exemple les photos de Walter Astrada (Argentine - AFP) sur les violences au Kenya... (âmes sensibles, s’abstenir) et on se fera une raison en admettant qu’il fallût bien que des images soient faites pour témoigner de la douleur et de la folie. Et qu’on ne peut pas reprocher à un photographe professionnel - qui prend pour cela des risques indéniables - de témoigner de ce qu’il voit et de faire par-dessus le marché, des images expressives, bien cadrées, pas floues et avec de bonnes couleurs.

L’ensemble des photos primées peut être regardé ici. Il y en a beaucoup, prenez votre temps.

Béat Brüsch, le 14 février 2009 à 16.23 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: WorldPressPhoto , photojournalisme
2 commentaires
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    1

    Pour ma part, l’avalanche de bonnes photos sur des sujets tragiques a tendance à me fatiguer un peu. Comme tu le dit, il faut bien témoigner et on ne peut passer son temps à regarder des tops models et autres pipoles mais il me semble que, une fois de plus, on fait la part belle (!) à l’horreur. Pour compenser le pipole peut-être ? ou bien est-ce tout simplement une version rénovée et tout aussi peu glorieuse du voyeurisme (panem et surtout circenses) ?

    Envoyé par photoculteur, le 14.02.2009 à 19.26 h
    En ligne ici
    2

    Depuis la nuit des temps, le journalisme use du voyeurisme pour dénoncer.

    Parce que pour parler au commun des mortels, il est inutile d’aller chercher son esprit : ce sont ses tripes qu’il faut viser.

    Et depuis toujours, la photo agresse le cerveau du "mateur" et la légende en donne le sens à l’esprit.

    Une photo d’"information" sans légende, cela n’existe pas pour moi. Il n’y pas de photo d’information nulle car sortie de son contexte, car celui-ci lui est attaché, quoi qu’il en soit. Sinon, si il en est "détachable", si l’on ne ressent pas la réalité de chercher et trouver cette légende, ce n’est pas une photo d’information.

    Tous ceux qui s’intéresseront à ce "prix", qui regarderont cette image, finiront immanquablement par connaître la légende de l’image.

    Tous.

    Envoyé par Ouatitm, le 16.02.2009 à 22.54 h