Mots d'images


Je reprends une illusion d’optique, bien connue, due à Edward H. Adelson, car elle met en lumière certains effets du contraste local. Cette illusion illustre parfaitement le fait que notre système visuel est bien plus sensible à la valeur relative de la luminosité qu’à sa valeur absolue, comme je l’expliquais dans mon précédent article sur le contraste local. Autrement dit - et c’est E.H. Adelson qui le relève - notre oeil serait un bien mauvais posemètre ! En effet, pour bien comprendre la nature des objets qui nous entourent, notre système visuel doit pouvoir interpréter subtilement les différences de luminosité, même si cela doit se faire au détriment d’une mesure correcte de la luminosité absolue.
Dans l’image ci-dessous, les 2 carrés A et B nous apparaissent chacun d’un gris bien différencié de l’autre...

En réalité, ils sont exactement du même gris !!
Tout le monde est surpris et reste sceptique à cet énoncé. Passez la souris sur l’image pour voir l’évidence : les 2 bandes verticales ajoutées sont du même gris que les 2 carrés et prouvent qu’ils sont bien de la même couleur. Mais comment cela se fait-ce ? E.H. Adelson nous fournit des explications (que j’adapte librement) :
Pour déterminer la nature des objets observés, notre système visuel ne peut se contenter de mesurer leur luminance. Dans notre exemple, une ombre portée modifie la valeur de gris réfléchie par certains carrés du damier. Le système visuel utilise plusieurs stratégies pour compenser cet effet :
• Une première approche est basée sur le contraste local (le revoilà). Chaque carré est comparé à ses voisins immédiats. Un carré entouré d’autres plus foncés est jugé « blanc », alors qu’un autre, entouré de carrés clairs est jugé « noir ». Et cela qu’il y ait une ombre portée ou pas.
• Le système visuel tend à ignorer les changements graduels de luminosité (celle de l’ombre portée), lui préférant les limites nettes (celle des carrés). Les ombres ayant souvent des bords flous, leur perception est de ce fait diminuée au profit du dessin précis des carrés. Ici, l’effet d’ombre portée est d’autant mieux perçu que l’objet qui le produit est visible dans l’image.
• Le damier est reconnu comme un ensemble géométrique où 2 tons différents alternent régulièrement. La couleur de chaque carré est prévisible et ne saurait donc « mentir ».

Cela doit nous rendre attentifs à la construction des images et à leur fonctionnement qui peut parfois nous échapper. Je ne parle évidemment pas, ici, de la portée conceptuelle ou métaphorique des images, mais de la perception primaire des « objets » qu’elles sont sensées représenter. Une représentation dénuée d’ambiguïtés dans la forme me semble un prérequis nécessaire pour qu’une image puisse délivrer son fond. (À moins que l’ambiguïté ne soit expressément recherchée ! Mais cela ne me semble pas toujours être le cas ;-)

Edward H. Adelson est Professor of Vision Science - Dept. of Brain and Cognitive Sciences - Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il présente ici son illusion d’optique. Sur ce document (Lightness Perception and Lightness Illusions) il nous expose en détail et à l’aide de nombreuses illusions d’optique sa théorie de la perception de la luminance. Si vous avez aimé cela, vous trouverez d’autres illusions d’optique ici. Et si décidément l’été se fait pluvieux, en voici d’autres encore.

PS 1 : Les sceptiques qui n’en croient toujours pas leurs yeux - il en reste, je le sais ! - sont en général les mêmes qui ne croient pas que la lune a le même diamètre à son lever qu’au plus haut dans le ciel... (Tentative de) persuasion ici.

PS 2 : Dans ce billet, je vous ai parlé de 2 carrés et vous avez très bien compris que je désignais en réalité des parallélogrammes qu’on peut voir sur l’image... Autre exemple de l’interprétation que nous faisons de ce que nous voyons ;-)

Béat Brüsch, le 6 juillet 2008 à 16.30 h
Rubrique: Un peu de technique
Mots-clés: archétype , numérique , technologie
Pas de commentaires
Les commentaires sont maintenant fermés.