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Les grands classiques

À l’occasion de l’exposition Philippe Halsman au Musée de l’Élysée, je « remonte » ce billet datant du 29 août 2009. L’exposition a lieu du 29 janvier au 11 mai 2014. Elle sera au Musée du jeu de Paume de Paris l’année prochaine, puis à Rotterdam, Madrid, Barcelone…

La plupart des liens d’origine sont cassés - ce qui en dit long sur la pérennité des sites internet ! - et je n’ai pu en remplacer que deux.


En 1948, au lendemain d’une guerre qui a vu l’émergence de l’ère atomique, Philippe Halsmann et Salvador Dali sont impressionnés par les « nouvelles » lois de la physique. Leur imaginaire est excité par les hypothèses les plus prodigieuses de la science. On parle d’antigravitation, d’antimatière... Ils essaient de visualiser ces folles perspectives : tout doit être en suspension, comme dans un atome ! Ils travaillent ensemble à l’élaboration de divers concepts avec des objets en lévitation. Dali, de son côté, poursuit la réalisation de Leda Atomica, une toile que l’on voit (non achevée) à la droite de la photo et dans laquelle presque tous les éléments sont aussi en lévitation. Ce n’est, bien sûr, pas la seule caractéristique de ce tableau, mais c’est celle qui nous intéresse ici. (Lien cassé. Voir ici pour un texte et là pour une image)

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Influencés par la célèbre photo de Harold Edgerton montrant, en instantané, des gouttes de lait en suspension (lien remplacé), ils pensent d’abord réaliser leur image en utilisant du lait. Mais ils choisissent de le faire avec de l’eau pour ne pas choquer les Européens qui sortent d’une dure époque de privations. (Chaque époque a ses tabous. Aujourd’hui, la provocation étant devenue un mode de promotion très recherché, on n’aurait sans doute pas hésité.) La séance de prises de vues a fait les beaux jours des collectionneurs d’anecdotes. La chaise de gauche est tenue en l’air par l’épouse de Halsman. On compte jusqu’à trois : les assistants lancent 3 chats et un seau d’eau. À quatre, Dali saute en l’air et Halsmann déclenche. Pendant que tout le monde récure le sol et console les chats, le photographe développe le film pour voir le résultat. Au bout de 6 heures et 28 essais, la photo est bonne ! Très vite elle parait sur une double page de Life et fait sensation.
En réalisant par la photo, un concept qui aurait tout aussi bien pu être peint (par un virtuose comme Dali !), c’est un peu le réalisme qui s’invite à la table du surréalisme ;-) Mais c’est justement cela qui fait la force de cette oeuvre. On joue avec notre perception de la matérialité en nous montrant des faits extraordinaires traités comme des situations avérées. Et je ne peux m’empêcher de me demander si aujourd’hui on aurait procédé de même pour réaliser cette image...? Quel photographe se donnerait tant de mal pour un résultat aussi aléatoire ? Alors qu’en assemblant différentes prises de vues, on obtiendrait un résultat tout aussi bon, avec de meilleures chances de succès. D’ailleurs, la première fois que j’ai vu cette photo (c’était bien avant Photoshop), je n’arrivais pas à croire qu’elle était le résultat d’une seule prise de vue, sans montage. J’entends d’ici, hurler les puristes, pensant que la photo est comme un jeu de tir à l’arc et qu’il suffit de déclencher au bon moment pour saisir « l’instant magique » et produire une bonne image.
Tout en ruminant mes considérations un peu malveillantes, j’ai été attiré par quelques détails troublants... Dali est devant un chevalet de peintre. Il y a une toile sur le chevalet (encadrée : drôle de façon de peindre !). Si on examine l’ombre située au-dessous, on voit bien celle de Dali qui se confond avec celle du pied du chevalet. Mais on voit aussi très clairement, à la place de la toile, un cadre vide, au travers duquel passe la lumière. On distingue même le montant central du chevalet, sur lequel vient normalement s’appuyer la toile en chantier. On devine aussi ce montant derrière le rideau d’eau. Alors... la toile a-t-elle été ajoutée après coup ? A la recherche des conditions de copyright de cette image sur le site de la Library of Congress, je suis tombé sur la photo originale... que je vous laisse découvrir pour jouer au jeu des 7 erreurs.

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Philippe Halsman est né en 1906 à Riga (Lettonie). Il fut d’abord ingénieur électricien. En 1931, il s’installe à Paris et devient photographe. Ses premières photos paraissent dans Vogue. Il devient un portraitiste à la renommée grandissante. Au moment de la guerre, il obtient un visa pour les États-Unis et s’installe à New York. Il réalisa 101 photos de couverture pour Life et bien d’autres encore pour Look, Paris-Match ou Stern. Ses portraits d’Einstein, de Groucho Marx, de John F. Kennedy, de Winston Churchill, de Marilyn Monroe et de bien d’autres célébrités sont dans toutes les mémoires. Après ses expériences avec Dali, il devint aussi un spécialiste de « jumpology », sport qui consistait à demander aux personnes photographiées de sauter en l’air. Selon lui, cela faisait « tomber le masque et révélait la personne » (trad. libre).
Pour rédiger ce billet, je me suis inspiré, en plus des liens accessibles directement depuis le texte, des sources suivantes :
- Philippe Halsman : Dali Atomicus - by : Brandon Luhring (Lien cassé)
- When He Said "Jump..." - Philippe Halsman defied gravitas (Lien cassé) - by Owen Edwards (à voir : un petit diaporama avec des photos de Jump)
- Dossier réalisé pour l’exposition rétrospective de Philippe Halsman par la National Portrait Gallery (plusieurs pages, dont une galerie de photos)

Béat Brüsch, le 29 janvier 2014 à 23.15 h
Rubrique: Les grands classiques
Mots-clés: photographe , retouche
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Une prise de position parue ce jour dans Le Courrier nous rappelle l’affaire de censure d’un livre de photo de Christian Lutz. Dans une conférence de presse tenue le 7 février, le Musée de l’Élysée nous révélait que le livre In Jesus’ Name (2012), que le photographe a réalisé en immersion dans la secte ICF (International Christian Fellowship) à Zürich, avait été provisoirement interdit par une décision de justice. Bien que le photographe ait été dûment accrédité par les dirigeants d’ICF, 21 personnes se sont plaintes d’une atteinte au droit à l’image.

Liens :
- Communiqué du Musée de l’Élysée du 7 février 2013 (.pdf)
- Article d’Arnaud Robert, Le Temps du 8 février 2013
- Prise de position de Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin, Directeurs du Musée suisse de l’appareil photographique à Vevey, dans Le Courrier du 28 février 2013
- Page de Christian Lutz à l’agence VU

Au-delà de la reconnaissance du droit, pour les photographes, de témoigner en images de toutes les joies et turpitudes du monde, nous osons espérer à minima que l’« effet Streisand » se déploie avec la vigueur qui sied à toute (tentative de) censure.

Béat Brüsch, le 28 février 2013 à 18.33 h
Rubrique: Droit des images
Mots-clés: censure , droit
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L’apparition des écrans Retina [1] sur les mobiles, les tablettes, puis maintenant sur certains ordinateurs portables d’Apple fait les délices des amateurs (fortunés) de technologies dernier cri. Ces écrans présentent une résolution correspondant au double de celle des écrans traditionnels. Les éléments visuels (textes, icônes, images) y sont affichés avec une grande finesse et un piqué remarquable, au point qu’on ne discerne pratiquement plus les pixels. Les typographies, mieux lissées, apportent aussi un meilleur confort de lecture.

Jusqu’à aujourd’hui, les écrans Retina n’étaient utilisés que sur des périphériques mobiles tels que smartphones et tablettes. Leur arrivée sur de « vrais » ordinateurs soulève quelques problèmes. Il faudra que l’industrie logicielle, et en particulier celle qui est consacrée au web, digère cette nouvelle norme. Car il ne faut pas se leurrer, il s’agit bien d’une nouvelle norme. Les normes industrielles ne sont pas toujours édictées par une assemblée de bons esprits éclairés qui se concertent longuement pour inventer les progrès censés faire le bonheur de l’humanité. Souvent, ces normes s’établissent de force par une saturation du marché. Apple a pris l’habitude de mettre en place des changements radicaux sur ses produits, dont plusieurs (mais pas tous !) finissent, après quelques cris d’orfraie, par devenir des standards suivis par tous les industriels bien obligés de s’adapter pour rester dans la course. On peut parier qu’à terme, tous les fabricants de dalles proposeront ce type d’écrans à des prix toujours plus accessibles. Et on peut parier, avec presque autant de certitude, que ces nouveaux écrans deviendront un jour majoritaires. Et l’industrie logicielle suivra.

C’est une chose que d’imposer des modifications logicielles sur des appareils aussi récents que les smartphones et les tablettes, c’est à dire dans un écosystème où il est facile pour une marque dominante d’imposer ses normes. Mais c’en est une autre, que de s’adresser à l’ensemble du parc informatique existant sur lequel on n’a que peu de prise. Pour le web, qui en 30 ans a réussi tant bien que mal, à se développer indépendamment du hardware, le coup sera dur. On peut parler d’un paradigme technique…

Précisons que nous ne parlons ici que des images pixelisées. Les images vectorielles, tout comme la typographie - vectorielle elle aussi - ne posent pas de problèmes de résolution et s’adaptent sans peine aux nouveaux écrans.

Petits rappels autour de la résolution des images.

Une image diffusée par un écran est composée de pixels. La taille des images se mesure en nombre de pixels. Sur internet, les images sont depuis les débuts affichées avec un ratio de 1. Par exemple, une image de 100 pixels de large occupera 100 pixels en largeur sur votre écran. Ça à l’air idiot, mais c’est une précision utile pour comprendre la suite. Les pixels n’ont pas de taille définie, ils contiennent juste des informations colorimétriques. C’est le nombre de pixels par pouce de l’écran - sa résolution - qui détermine la dimension de l’image sur cet écran. Ainsi, notre image de 100 pixels de large s’affichera plus petite sur un écran en haute définition que sur un écran « normal », car ses pixels y seront plus petits. La résolution est déterminée par le nombre de pixels par unité de surface (elle s’exprime en pixels par pouce (ppp) ou dpi en anglais).

Les écrans des ordinateurs portables ont, depuis longtemps, tendance à afficher une résolution de plus en plus élevée. La conséquence - que tout le monde a pu remarquer - est que les contenus sont affichés de plus en plus petits par rapport aux écrans « normaux ». Les écrans Retina affichant une résolution de près du double, on ne pouvait laisser ce principe se perpétuer. Pour afficher les éléments visuels dans une dimension acceptable, Apple décide donc d’appliquer un ratio de 2 à ces nouveaux écrans. Cela implique que pour remplacer une image qui jusqu’ici mesurait 100 pixels de large, il faut maintenant fournir une image de 200 pixels de large (et la hauteur change en proportion, hein). Le gain immédiat est une image avec une netteté et un piqué extraordinaires, encore jamais vus sur un écran. Une autre conséquence, tout aussi immédiate, est que le poids de cette image a quadruplé ! (100 x 100 = 1000 / 200 x 200 = 4000). On comprend que pour traiter des images aussi lourdes il faudra des puissances de calcul bien plus élevées que celles que nous connaissons. Pour le web, il faudra en plus, des bandes passantes très performantes pour ne pas ralentir le chargement des images.

Que se passera-t-il avec les « anciennes » images ?

Ces images seront dorénavant sous-échantillonnées par rapport à la nouvelle norme. Pour être vues sur un nouvel écran, elles seront artificiellement agrandies. Pour afficher 200 pixels là où il n’y a de l’information que pour 100 pixels, un logiciel ne peut rien faire de plus que d’« inventer » des pixels intermédiaires par moyenne des pixels environnants. Même le robot le plus malin ou l’algorithme le plus fou ne réussiront pas à remplacer l’information manquante ! Le résultat sera une image un peu floue. En fait, ces images ne seront pas subitement devenues mauvaises, mais leur confrontation avec les « nouvelles » images en haute résolution leur donnera un petit aspect vieillot. Les milliards d’images déjà publiées sur le Net seront-elles mises aux normes ? On peut prédire que non, l’écrasante majorité des « images d’avant » restera telle qu’elle, car pour leurs éditeurs cela représenterait un très gros travail, le jeu n’en vaudra pas la chandelle et aussi parce que les originaux permettant de les refaire ne seront pas toujours disponibles. Pire, ce patrimoine d’images, « dégradées », continuera d’alimenter encore longtemps tous les sites qui s’en servent pour leur illustration ou leur documentation.

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Simulation de la différence d’affichage entre une image en haute résolution et une « ancienne ».

Pour se rendre compte de la différence en conditions réelles, on « prendra » un portable Apple avec écran Retina et on ouvrira côte à côte 2 fenêtres de navigateur, en affichant d’un côté un site optimisé avec des images en haute résolution (par exemple celui d’Apple) et de l’autre côté, un site quelconque contenant des images (quelconques). Selon son acuité visuelle, on distinguera des différences de rendu plus ou moins marquées, mais bien réelles. D’aucuns trouveront que la différence est faible, mais une fois habitués aux « nouvelles images » ils seront peut-être les premiers à trouver un petit côté vieillot aux images d’aujourd’hui. Dans un ancien billet, je notais que les réalisateurs de documentaires TV utilisaient le noir/blanc pour caractériser un document ancien et je me demandais si on trouverait une convention aussi pratique pour présenter des images d’aujourd’hui… eh bien j’ai trouvé : on montrera des images légèrement floues ;-)

Comment les technologies du web répondront-elles ?

Les smartphones et les tablettes ont été les premiers à être munis d’écrans en haute définition. On aura remarqué par ailleurs que de nombreux sites ne sont toujours pas adaptés à ces petits écrans. Pour y voir quelque chose, il faut en général zoomer, puis dézoomer et scroller en tous sens pour retrouver les boutons de navigation. C’est avec ces appareils en point de mire que le W3C a finalisé récemment de nouveaux standards permettant d’afficher des contenus adaptés au petit format : les MediaQueries. Il s’agit d’un dispositif qui met en oeuvre des techniques dites de Responsive Web Design (en français : conception de sites web adaptatifs). Quelques exemples ici. La méthode, basée sur des feuilles de style (CSS), n’agit que sur le rendu visuel, les contenus proprement dits n’étant pas affectés. On peut ainsi, pour des périphériques de petite dimension, réarranger la disposition des textes et des moyens de navigation, présenter des typographies dans des dimensions lisibles, redimensionner les images, voire supprimer certains éléments non désirés. Pour les avoir expérimentées ces derniers mois, je peux dire que ces techniques fonctionnent de manière probante. [2] Certes, la création de nombreuses feuilles de style (une par plage de dimensions et une encore pour chaque résolution de périphérique !) ne se fait pas toute seule. Lors de la conception d’un tel site, il faut prendre en compte globalement ses diverses visualisations possibles.

Cependant, à peine débarquées et encore très peu mises en oeuvre, les MediaQueries montrent déjà des limites. L’émergence des écrans Retina sur de « vrais » ordinateurs les met cruellement en lumière. L’exemple le plus frappant est le suivant : avec les MediaQueries on peut cibler des images de fond (background-image) spécifiques à chaque écran visé. Très bien, mais ces images-là sont utilisées généralement à des fins décoratives. Pour les images vraiment importantes, celles du contenu, c’est structurellement impossible avec le seul recours aux MediaQueries. On peut certes en modifier la taille d’affichage, mais c’est quand même l’image originale en entier qui est envoyée.

Il commence à se faire jour que la cohabitation entre un web « traditionnel » et un web en haute définition sera de longue durée. On ne pourra pas imposer des images 4 fois plus lourdes à qui ne peut pas en tirer profit, surtout si c’est au prix d’une connexion performante et donc chère. L’idéal sera de munir les nouveaux sites d’images en haute résolution et de mettre au point des techniques de détection capables de discerner le type d’images à fournir pour un périphérique donné ayant une vitesse de connexion donnée. Les MediaQueries étant, par essence, incapables de faire cela, certains ont déjà mis au point des « hacks » allant dans ce sens et le W3C a créé une commission pour réfléchir à de nouvelles solutions. D’autres prévoient une nouvelle « guerre du web » [3] encore plus pénible que les précédentes. Quoi qu’il en soit, la réalisation de sites web lisibles par tous va devenir complexe et cela augmentera assurément les coûts de développement. À un moment donné, quand les écrans Retina seront bien présents, les développeurs ne voudront plus perdre leur temps à développer des variantes compatibles. On se retrouvera alors avec un web à 2 vitesses : l’un pour les happy few équipés du dernier cri de l’appareillage électronique et l’autre pour les « résistants » au progrès qui ne pourront plus visualiser correctement les nouveaux sites. Sans compter tous les vieux sites évoqués plus haut, qui continueront d’afficher leurs images pas très nettes.

Il ne s’agit pas ici de déplorer tout progrès technique, mais de relever qu’en la matière, la concertation nécessaire entre instances normatives et entreprises est impossible quand les progrès techniques sont avant tout des avantages commerciaux. Le Net ressemble aujourd’hui à une autoroute qui, à peine mise en service, devrait aussitôt subir de gros travaux d’entretien qui gênent le trafic. Et on me dit dans l’oreillette que, contrairement à ce que peut laisser croire la pub d’Apple, on n’a pas encore atteint le pouvoir de résolution de l’oeil humain, on devrait pouvoir faire mieux ! Les RetinaSuperMegaPlus sont probablement déjà dans les tuyaux…

Apple n’est pas qu’un formidable moteur d’innovations technologiques entrainant toute la branche de l’électronique communicante derrière elle. C’est aussi devenu un système fermé, un système propriétaire, à l’instar des Google, Facebook ou Windows (avec son nouveau WindowStore sur le modèle de l’AppleStore), cherchant à enfermer ses clients dans sa bulle en lui offrant un maximum de services (aussi payants pour les prestataires que pour les clients). À partir de leurs smartphones, leurs tablettes et bientôt depuis leurs ordinateurs (selon les évolutions prévisibles de Mac OS), l’internet est la seule porte permettant de s’échapper de la cage. Les apps fournissent presque tous les services qu’un cyberhominidé peut vouloir désirer. Ces apps sont complètement sous le contrôle d’Apple, qui décide de tout, depuis les contenus jusqu’à la manière de les afficher, en passant bien sûr par l’imposition de ses conditions économiques. Dès lors, il est pour le moins troublant de constater que les seuls éléments qui ne s’affichent pas aussi joliment que ceux d’Apple, en proposant des images un peu pourries, sont ceux qui viennent d’ailleurs, de ce monde imparfait que les ingénieurs de Cupertino n’ont pas (encore) régenté. Si cet effet n’est probablement pas recherché, gageons qu’il ne devrait pas trop déplaire à Apple !

Retina Display – The Future of Web Design. Internet Overview. On trouvera sur cette page une grande quantité de liens (anglophones) qui donnent un bon « état de l’art » sur les écrans Retina. Elle s’adresse plutôt aux webdesigners.

Notes:

[1] Le terme Retina est une marque commerciale utilisée par Apple, Android utilise les termes HDPI ( 240dpi) et XHDPI ( 320dpi).

[2] Compatibilité des MediaQueries : Androïd ne les gère que depuis la version 3 (janvier 2011). Pour Internet Explorer, il faut la version 9 pour avoir un début de compatibilité et la 10 pour une prise en charge complète. Chez Apple toutes les versions de iOs et les versions récentes de Safari sont compatibles. Firefox est compatible depuis la version 3.5 (décembre 2009).

[3] Dans ces guerres du web, on pense surtout à celles des navigateurs (Explorer et Netscape) qui, dans un esprit de compétition et d’innovation, ont vu se développer des versions munies de fonctions propriétaires qui se démarquaient non seulement du concurrent, mais surtout des standards du web. Certains sites ne fonctionnaient qu’avec un seul navigateur et n’étaient souvent pas rendus compatibles avec d’autres. Cette bagarre a causé de très gros soucis aux développeurs qui tenaient à être lus de tout le monde et coûté des millions en frais de développement supplémentaires. Pour en savoir plus, on lira cette page.

Béat Brüsch, le 12 décembre 2012 à 15.53 h
Rubrique: Les nouvelles images
Mots-clés: image digitale , logiciel , numérique , résolution , standard , technologie
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Depuis le temps que je n’ai plus rien écrit sur ce blogue, le monde des images continue sa ronde. Il y a eu, par exemple, les résultats du World Press Photo dont la presse et quelques blogues ont rendu compte sans que j’y apporte mon grain de sel. Les Prix suisses pour la photographie de presse ont, quant à eux, été décernés le 27 avril. C’est plus petit, plus intime, il y a moins à regarder, mais on y trouve aussi quelques perles.

Le « Swiss Press Photographer of the Year » de l’année est Mark Henley pour sa série « Bank On Us ». Suite à plusieurs « affaires », on parle beaucoup, en Suisse, des banques, de leurs secrets et de pratiques plus que douteuses. Il n’est donc pas très étonnant que l’on retrouve ce sujet parmi les travaux soumis. Le thème est difficile à imager et il n’est pas simple d’éviter les clichés. Les photographies noir/blanc de Mark Henley proposent une approche qui se démarque immédiatement des vues bien lustrées de l’univers bancaire. Le choix d’images présentées sur le site du « Swiss Press Award » nous indique clairement qu’elles se situent dans le registre illustratif. La chose est soulignée par le fait qu’on ne nous fournit même pas les légendes. Pour les photographies de personnes, une indication minimale avec les noms et fonctions des protagonistes serait pourtant bien utile, car tout le monde ne reconnaitra pas forcément les « huiles » du milieu, que l’on a ainsi portraiturées. Cela enlève un peu de sel à la présentation.

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© Mark Henley - Le petit format de cette reproduction ne permet pas de bien voir la pluie battante.

La photo du banquier courant sous la pluie constitue une bien jolie métaphore. Elle évoque irrésistiblement d’autres images, célèbres (mais il n’y a pas l’échelle ;-) Et qui nous dit qu’il s’agit bien d’un banquier et pas d’un commis voyageur ou d’un amoureux en retard à un rendez-vous galant ? Ah oui, c’est à la Paradeplatz. [1] Illustration que tout cela ! Allons-y pour un valeureux banquier qui « se mouille » pour ses clients. À moins qu’il ne coure se mettre bien à l’abri du ciel qui lui tombe sur la tête ?

Les oeuvres primées sont à voir ici, sur le site du « Swiss Press Award ». Ne manquez pas de consulter aussi les images non retenues en cliquant sur Toutes les images envoyées. Intéressant. On pourra se demander pourquoi l’image du monsieur qui trimbale deux attachés-cases n’a pas été primée. Est-ce qu’elle fait trop cliché ? Ou bien, le fait de donner à voir une photo de valises procure une « véridicité » insoutenable pour qui continue à défendre la pureté du secret bancaire ?

La visite du site de Mark Henley nous permet de dépasser la vue (forcément) sommaire des quelques photographies présentées pour le concours. On peut y voir, dans un diaporama, les 80 photos de cette série. Et là, c’est une tout autre histoire qui s’offre à nous. La vie des gens qui travaillent avec l’argent y prend un relief particulier. Le noir/blanc jette une lumière crue sur des personnages d’ordinaire discrets et effacés. Il semble même que l’absence de couleurs nous aide à mieux voir les zones d’ombre, un peu comme dans les films noirs où la suspicion s’installe dans chaque anfractuosité. Mark Henley est britannique, il a vécu ailleurs dans le monde et s’est posé en Suisse depuis quelques années. Par son regard neuf, mieux que de nous montrer d’hypothétiques coffres-forts, il nous fait voir le train-train grotesque des gnomes [2] qui s’agitent autour de la Paradeplatz. Derrière les masques lugubres, on distingue un triste folklore qui prend le pas sur la légendaire image de probité des banques.

Comme pour pratiquement toutes les images illustratives, celles-ci restent à la surface des choses. Elles ne donnent pas la dimension réelle de ce qui préside à leur matérialisation. Elles ne nous donnent aucune indication sur la somme de spoliations qui (a) fait le succès du secret bancaire. Elles ne fournissent aucune donnée sur le monde de la finance, qui pour la majorité d’entre nous, reste totalement opaque. Les faits visuels qui sont relatés sont « pauvres » d’un point de vue strictement informatif. Mais les images sont des espèces de balises auxquelles notre cerveau s’accroche pour construire une réflexion, pour l’infléchir, pour « se rappeler »... La tonalité de ces images, en rupture avec la vision bien policée habituelle, correspond à une évolution de l’attitude générale envers le milieu des banques et de la finance. Le succès de ces images atteste que certains tabous sont tombés.

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© Mark Henley

Les communiqués de presse en Suisse nous disent que les photos de la série « Bank On Us » ont été publiées par L’Hebdo et par Swissinfo. En parcourant le blog de Mark Henley on peut constater que de nombreuses publications suisses et étrangères l’avaient déjà fait avant la remise du prix (Bloomberg Businessweek, The Independent, The Atlantic, La Republica, Das Magazin (NZZ), etc). On peut donc dire que « nul n’est prophète en son pays », fût-il d’adoption ;-) Ici ou là on retrouve aussi les photos de « Bank On Us » en couleurs. La série a donc été construite et les photos retravaillées pour composer un ensemble stylistiquement cohérent. Pour être complets, nous dirons encore que les photos de « Bank On Us » sont dûment légendées sur le site de Mark Henley.

Lors de la manifestation de remise des prix, le « Swiss Press Photo Lifetime Achievement Award » [3] a été attribué au photographe suisse Robert Frank pour l’ensemble de son oeuvre. Le célèbre auteur de « Les Américains » a fait le voyage depuis New York où il réside pour recevoir son prix. Dans Le Temps, on peut lire une interview réalisée à cette occasion.

Il y a bien sûr d’autres photographes primés, qu’ils m’excusent si je ne m’étends pas sur leur travail ;-) Leurs images sont également à voir sur le site du « Swiss Press Award ». Nous apprenons que Mark Henley vient de recevoir le premier prix, dans la catégorie Photographie rédactionnelle, du « Swiss Photo Award – ewz.selection », un des prix photo les plus renommés du pays et aussi un des mieux dotés.

Notes:

[1] La Paradeplatz est une place centrale du quartier des affaires de Zürich autour de laquelle on trouve le siège des plus grandes banques suisses. Elle n’a aucun charme particulier, car son centre est occupé par une importante station de tramway. C’est aussi là que se situe l’hôtel le plus cher pour ceux qui jouent au Monopoly en version suisse. (Quelques photographies proviennent aussi du quartier des banques de Genève.)

[2] En 1964, le ministre britannique Harold Wilson a apostrophé la finance internationale en s’adressant aux « gnomes de Zürich ». Dans les traditions d’Europe du Nord, les gnomes sont des nains, laids et malins qui cachent de fabuleux trésors dans des grottes au fond de la terre.

[3] De plus en plus de manifestations nationales, surtout si elles sont pilotées depuis Zürich, arborent des titres ronflants en anglais. Veut-on par là imposer une langue véhiculaire à ce petit pays qui compte déjà 4 langues nationales ? S’agit-il d’un effet de la mondialisation ou d’une nouvelle manifestation de la grandiloquence zurichoise ?

Béat Brüsch, le 18 mai 2012 à 12.05 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: illustration , photographe , presse
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À force de parler des droits d’auteur du point de vue des industries culturelles, on en vient à oublier que les photographes rencontrent des difficultés spécifiques liées, elles aussi, au partage sur internet. Dans l’article qui suit - publié sur OVNI - Lyonel Maurel (Calimaq), une autorité en matière de droit d’auteur confronté aux nouvelles technologies, fait le point et relève quelques dérives. Voici son article (avec une nouvelle iconographie) ...


Passée la dimension policière de l’évènement, l’affaire MegaUpload a ravivé les débats sur la gestion des droits d’auteur sur Internet. Une problématique traversée par de fortes tensions ; qui touchent en particulier les droits des photographes. Avec quelques grands acteurs aux propositions radicales, comme celle consistant à instaurer un « permis de photographier ».

Comme l’explique la Quadrature du Net, la place qu’avait pris le site MegaUpload dans le paysage numérique peut être considérée comme une conséquence de la guerre au partage conduite par les industries culturelles au nom de la défense du droit d’auteur :

« MegaUpload est un sous-produit direct de la guerre menée contre le partage pair à pair hors-marché entre individus. Après avoir promu une législation qui a encouragé le développement des sites centralisés, les lobbies du copyright leur déclarent aujourd’hui la guerre [...] La vraie solution est de reconnaître un droit bien circonscrit au partage hors marché entre individus, et de mettre en place de nouveaux mécanismes de financement pour une économie culturelle qui soit compatible avec ce partage. L’éradication de MegaUpload par la justice américaine constitue un épisode spectaculaire de cette croisade du copyright, mais la guerre au partage qui la sous-tend revêt parfois des formes plus discrètes, mais insidieuses, dans d’autres branches de la création. »

C’est à mon sens particulièrement le cas dans le domaine de la photographie et j’ai été particulièrement frappé, tout au long de l’année dernière, de la dérive du discours et de l’action de lobbying menée en France par les photographes professionnels, qui sont graduellement passés de la lutte (légitime) pour la défense de leurs droits à une forme de combat contre les pratiques amateurs et le partage entre individus, y compris à des fins non-commerciales. Il est intéressant d’analyser les glissements idéologiques progressifs qui amènent les titulaires de droits à se dresser contre les internautes et à se couper des moyens d’évoluer pour s’adapter à l’environnement numérique.

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© David Sky, seemsartless.com, CC BY-NC-SA 2.0

Bien entendu, la photographie est un média particulièrement fragilisé par les évolution d’Internet et j’ai déjà eu l’occasion de me pencher sur les effets corrosifs que la dissémination incontrôlée des images inflige aux fondements même du droit d’auteur dans ce secteur.

On comprend dès lors que les photographes professionnels soient sur la défensive. En juillet 2001, en marge des Rencontres d’Arles de la photographie, l’Union des photographes professionnels (UPP) avait ainsi organisé une spectaculaire marche funèbre pour enterrer le droit d’auteur. Le sens de cette action était de lutter contre des pratiques jugées abusives et attentatoires aux droits des photographes, comme le « D.R. » employé par la presse, les contrats léonins proposés par certains éditeurs ou la concurrence déloyale des micro-stocks de photographie comme Fotolia, pourtant labellisé par Hadopi.

Jusque là, il n’y a pas grand chose à redire à ce type de combats, qui rappellent ceux que les auteurs de livres mènent pour faire valoir leurs droits face au secteur de l’édition et qui me paraissent tout à fait légitimes. Il est indéniable qu’une des manières de réformer le système de la propriété intellectuelle dans le bon sens consisterait à renforcer la position des créateurs face aux intermédiaires de la chaîne des industries culturelles.

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© Ian Britton, FreeFoto.com, CC BY-NC-ND 3.0

Mais pour lutter contre les sites comme Fotolia, qui proposent des photographies à des prix très bas, les photographes professionnels ont commencé à critiquer l’expression « libre de droits », mauvaise traduction de l’anglais « Royalty Free », en rappelant (à juste titre) qu’elle n’avait pas de sens en droit français. Lors du congrès 2011 de l’UPP, une Association de lutte Contre le Libre de Droit (ACLD) a même été créée par plusieurs groupements de professionnels de la photographie C’est à partir de là qu’un dérapage a commencé à se produire chez les photographes, avec une dérive vers la guerre au partage, les pratiques amateurs et la gratuité. Après le “libre de droits”, les représentants des photographes en sont en effet venus à combattre “le libre” tout court, au nom d’amalgames de plus en plus discutables.

La première manifestation sensible de cette dérive a été l’opposition de l’UPP au concours Wiki Loves Monuments, organisé par la fondation Wikimedia pour inciter les internautes à photographier des monuments historiques et à les partager sur Wikimedia Commons. L’UPP a dénoncé de manière virulente cette initiative, en s’élevant contre le fait que la licence libre de Wikimedia Commons (Creative Commons CC-BY-SA) permet la réutilisation commerciale et en demandant sa modification :

« Présentée comme une action philanthropique, cette initiative relève davantage d’une opération strictement commerciale. En effet, l’accès au concours est conditionné par l’acceptation d’une licence Creative Commons qui permet l’utilisation commerciale des œuvres. Des opérateurs privés ou publics peuvent dès lors utiliser gracieusement ces photographies sous forme de cartes postales, posters, livres ou encore à des fins d’illustrations d’articles de presse. Les photographes professionnels qui vivent de la perception de leurs droits d’auteurs s’inquiètent de cette démarche, qui constitue une concurrence déloyale à leur égard. Les initiatives de partage libre de la connaissance à des fins culturelles et pédagogiques sont légitimes, mais ne doivent pas conduire à mettre en péril la création. »

Pour des professionnels qui prétendent défendre le droit d’auteur, ce type de position radicale est très surprenant. Car c’est en effet un des principes fondateurs du droit d’auteur français que les créateurs décident de manière souveraine de la manière dont ils souhaitent divulguer leurs oeuvres. Si un auteur veut partager sa création gratuitement, y compris en permettant les réutilisations commerciales, rien ne devrait pouvoir l’en empêcher ou alors, le droit d’auteur n’a plus de sens. Un article du Code de propriété intellectuelle consacre même explicitement cette possibilité de diffusion gratuite :

« L’auteur est libre de mettre ses oeuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu’il a conclues (Art. L. 122-7 CPI »)

Ici l’UPP, pour protéger des intérêts professionnels, prétend condamner cette liberté, dont veulent user des internautes pour contribuer volontairement à un projet collaboratif. Et ils sont par ailleurs des millions à mettre en partage leurs photos sur Wikimedia Commons, mais aussi sur Flickr, Deviant Art, et d’autres plateformes encore.

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© Quentin Xerxes Zamfir, flickr.com/qxz, CC BY-NC-SA 2.0

Mais les photographes professionnels vont plus loin encore. Au-delà de la Culture libre et de l’idée de biens communs, c’est tout un pan de la culture numérique qu’ils entendent remettre en question, avec la montée en puissance des amateurs. Cette tendance se lit clairement sur un des forums ouverts par les Labs Hadopi, dont les experts travaillent sur le thème de la photographie. On y trouve notamment cette déclaration d’un photographe, qui soulève des questions assez troublantes :

« Ce métier n’est aucunement régulé, et les associations comme l’UPP (Union des photographes professionnels, dont je fait partie) font ce qu’elles peuvent. La comparaison la plus courante reste celle des taxis. Un métier régulé et normé, tant dans le droit d’exercice que dans les critères de nombre. Avoir une voiture ne fait pas de toi un Taxi. A contrario, avoir un appareil photo fait de n’importe qui un photographe établi et un énième concurrent. »

Ou encore celle-ci, tout aussi éloquente :

« [...] il me semble que la difficulté numéro 1 des photographes à l’ère numérique, c’est l’afflux massif d’amateurs qui vendent leurs photos à prix bradé voir gratuitement. »

Le glissement dans le discours atteint ici des proportions très graves. Nous ne parlons plus en effet seulement de lutter contre le téléchargement, mais d’un corps de métier, menacé par Internet, qui commence à glisser à l’oreille des pouvoirs publics qu’il pourrait être bon d’instaurer un « permis de photographier » ou une sorte de numerus clausus, pour limiter chaque année le nombre de photographes assermentés !

D’une certaine manière, les photographes sont en train de remonter à la racine historique du droit d’auteur, dont les premiers linéaments sont apparus sous l’Ancien Régime sous la forme d’un double système de privilège et de censure, contrôlé par l’Etat. Le Roi en effet, accordait un « privilège » à un imprimeur afin de lui conférer un monopole pour exploiter un ouvrage et se protéger des contrefaçons produites par ses concurrents. On retrouve bien en filigrane, cet esprit dans les revendications des photographes, sauf qu’à présent, ils demandent l’instauration d’une forme de « protectionnisme juridique » pour les protéger des amateurs et du public, et non d’autres professionnels.

A une heure où le partage des photographies est massif sur Internet (plus de 100 milliards de photos sur Facebook…) et s’accélère encore avec le développement des usages mobiles (voir le succès d’Instagram), on sent bien que ce type de positions est complètement irréaliste. Elle ne peut que conduire sur le plan légal à instaurer des systèmes de contrôle et de répression des pratiques culturelles qui se répandent dans la population et dont on devrait se réjouir, plutôt que de chercher à les condamner.

D’une certaine manière, les propos des photographes rappellent la « Pétition des fabricants de chandelle » qui avait été inventée en 1845 par l’économiste Frédéric Bastiat pour discréditer le protectionnisme économique. Dans cette parabole, les fabricants de chandelles demandent à l’Etat de les protéger contre la concurrence déloyale… du Soleil !

« Nous subissons l’intolérable concurrence d’un rival étranger placé, à ce qu’il paraît, dans des conditions tellement supérieures aux nôtres, pour la production de la lumière, qu’il en inonde notre marché national à un prix fabuleusement réduit ; car, aussitôt qu’il se montre, notre vente cesse, tous les consommateurs s’adressent à lui, et une branche d’industrie française, dont les ramifications sont innombrables, est tout à coup frappée de la stagnation la plus complète. Ce rival, qui n’est autre que le soleil, nous fait une guerre (si) acharnée […] Nous demandons qu’il vous plaise de faire une loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contre-vents, volets, rideaux, vasistas, œils-de-bœuf, stores, en un mot, de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons, au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d’avoir doté le pays, qui ne saurait sans ingratitude nous abandonner aujourd’hui à une lutte si inégale. […] »

Ce que révèlent les positions des photographes professionnels, c’est avant tout un profond désarroi face aux évolutions du numérique et une difficulté à penser un modèle économique adapté aux nouveaux usages en ligne. Il existe pourtant des exemples convaincants de photographes qui ont réussi à comprendre comment utiliser à leur profit les pratiques de partage pour valoriser leurs créations et développer leur activité.

C’est le cas par exemple de l’anglais Jonathan Worth, cité dans l’ouvrage The Power of Open qui recense les exemples de réussite de projets employant les licences Creative Commons. Incité à utiliser les Creative Commons après une rencontre avec Cory Doctorow, il publie aujourd’hui ses clichés sur son site sous licence CC-BY-NC-SA. La diffusion et les reprise de ces photos lui a permis de gagner une notoriété, qui lui a ouvert les portes de la National Portrait Gallery à Londres et de photographier les grands de ce monde. Dans une interview donnée au British Journal of Photography, il explique en quoi les licences libres lui ont permis de penser un nouveau modèle en jouant sur la réservation de l’usage commercial, tout en permettant la reprise de ces photos librement à des fins non commerciales :

« Maintenant je peux comprendre comment utiliser les forces des personnes qui réutilisent mes images gratuitement. C’est comme mettre un message dans une bouteille et laisser les vagues l’emmener ailleurs, en tirant bénéfice de l’énergie des marées. Creative Commons me permet d’utiliser l’architecture du système et d’être en phase avec les habitudes des natifs du numérique sur les réseaux sociaux. Les contenus sont les mêmes, mais leur mode de distribution a changé. Je n’ai pas trouvé la formule magique, mais CC me permet de profiter de choses qui autrement joueraient contre moi. »

De manière plus provocatrice, le photographe américain Trey Ratcliff, qui tient l’un des blogs photo les plus suivis de la planète (Stuck in Customs) expliquait récemment sur le site Techdirt les raisons pour lesquelles il ne se préoccupe pas du piratage de ses créations et pourquoi il considère même que c’est un avantage pour son business. Il explique comment le partage de ses oeuvres lui permet de donner une visibilité son travail et de se constituer une clientèle potentielle. Et de terminer par cette phrase qui va nous ramener au début de cet article :

« Tout mon travail est piraté. Depuis mes tutoriels photo HDR, jusqu’à mes livres numériques en passant par mes applications. Parfait. Tout est sur PirateBay, MegaUpload et d’autres sites de ce genre. Le fait est que j’ai de bonnes raisons de ne pas m’en préoccuper. »

Si MegaUpload est devenu une telle menace pour les industries culturelles, c’est avant tout parce qu’elles n’ont toujours pas réussi à sortir du « modèle économique de la pénurie organisée », comme le rappelle à raison Samuel Authueil sur son blog. L’exemple des photographes que je cite ci-dessus montre pourtant que des créateurs peuvent tirer profit de la nouvelle économie de l’abondance, en adoptant des modes plus ouverts de distribution de leurs contenus, en phase avec les pratiques de partage sur les réseaux.

S’enfoncer dans la guerre au partage comme le font actuellement les représentants des photographes professionnels, lutter contre les pratiques amateurs et la gratuité, c’est courir le risque de subir une véritable Berezina numérique, comme le reste des filières culturelles qui refusent l’évolution de leurs modèles.

Ce n’est pas d’une réforme légale que le système a besoin, mais d’une profonde refonte de la conception de la valeur, qui entre en symbiose avec les pratiques de partage plutôt que de tenter de les combattre.

Ce texte de Lyonel Maurel a été publié sur OWNI le 25 janvier 2012 sous licence Creative Commons by-nc

Les photos créditées CC le sont bien évidemment sous Creative Commons

Anciens billets sur le sujet dans Mots d’images :
• 26.03.2009 : La photo, parent pauvre du droit d’auteur ?
• 30.10.2008 : Oeuvres orphelines - Comment le droit d’auteur sur les images se fait bousculer

Béat Brüsch, le 26 janvier 2012 à 15.32 h
Rubrique: Droit des images
Mots-clés: copyright , droit , professionnel
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