Les métiers de la photo sont en crise et tous se cherchent de nouvelles conditions d’existence. La presse étant également en crise, on comprend bien que pour la photo de presse la situation soit particulièrement tendue. De nouvelles méthodes de travail sont peut-être à étudier et la mise au point de nouveaux modèles économiques est cruciale.
L’agence de presse Keystone a découvert le bon filon pour financer ses reportages sportifs : elle les vend aux sponsors commerciaux des sportifs. Keystone est le plus important fournisseur d’images à la presse suisse. 150 rédactions achètent tout ou partie de leurs images chez eux. En toute confiance. [1]
Le quotidien suisse La Liberté [2] nous apprend que, par l’intermédiaire de Photopress - sa filiale orientée relations publiques - Keystone propose aux grands sponsors, des reportages photo de manifestations sportives focalisés sur leurs marques. Le service est payant, mais il vaut le coup, car « A ce tarif, le client bénéficie d’une couverture professionnelle de l’événement et de dizaines de photos où l’on voit le sportif noyé au milieu des logos de la marque ». Rien de plus normal, dirons-nous, tant nous sommes habitués à voir des sportifs croulant sous les logos commerciaux. Ce qui l’est moins, c’est que ces photos se retrouvent ensuite mélangées dans le fil des photos de presse proposées par Keystone, sans aucune mention de leur caractère sponsorisé.
Les photographes, qui font proprement le boulot qu’on leur demande, se disent vexés, car ils ignorent de quelle façon leurs photos sont ensuite vendues. (Mais ils ne vont jamais voir sur le site de l’agence ?) Cette dérive est dommageable à toute la profession, car la déontologie a été un des axes souvent mis en avant pour défendre le photojournalisme. Et on ne prévoyait pas qu’un affairisme crasse vienne compliquer le boulot !
Pour Dominique von Burg, président du Conseil suisse de la presse : « Diffuser des images payées par les sponsors au moyen d’un canal d’information, c’est contrevenir à la déontologie du journaliste. Il n’est pas admissible qu’un texte ou une photo prévus pour un usage journalistique soient payés dans leur production et dans leur diffusion par un sponsor. » (Mais les rédacteurs photo qui choisissent ces images ne sont-ils pas frappés par des cadrages ou par l’utilisation de longues focales favorisant une omniprésence des marques de sponsors ?)
« Ce mélange des genres est dangereux pour la crédibilité des médias. Déjà, sur le marché chamboulé de l’information, les agences de communication remplacent peu à peu les journalistes. Reste la question : où s’arrêtera cette contagion de l’info-promo ? Si le sport en est la première victime, avec ses sportifs transformés en hommes-sandwichs qui vendent leurs sponsors devant les caméras, l’information économique ou politique pourrait très bien suivre. »
Interrogé ce matin par la Radio romande [3], Louis Ruffieux, rédacteur en chef de La Liberté, s’étonne qu’il n’ait à ce jour reçu aucune réaction à l’article. Gros malaise ou je-m’en-foutisme ?
Notes:
[1] Keystone jouit d’une situation de monopole dans la distribution d’images à la presse suisse. Elle est contrôlée en partie par l’ATS (Agence Télégraphique Suisse).
[2] Article de La Liberté, du 09.02.10 (accessible en archives payantes). Repris par la version papier du quotidien Le Courrier du même jour. Repris aussi et adapté par Rue89. Les citations entre guillemets sont tirées de l’article original de Sid Ahmed Hammouche, qui est aussi rédacteur photo de La Liberté.
[3] Émission Médialogues du 10.02.10 sur RSR1
Mis en cause dans cette affaire, les dirigeants de Keystone tentent de se justifier. Allesandro della Valle, responsable des photographes de l’agence est interviewé par la Radio romande. Les faits restent. Mais on en apprend un peu sur les pressions et chantages que subissent les photographes de presse de la part de firmes commerciales. RSR / Médialogues du 11.02.10 (à partir de 3:50)
Le marronnier fédéral a produit son cliché annuel. Le Conseil fédéral défile en rangs serrés et en sourires crispés sur un fond de palais fédéral pixellisé. La nouvelle présidente, Madame Doris Leuthard, emmène les autres conseillers fédéraux selon les règles de préséance. Où vont-ils de ce pas décidé ? Ils se dirigent tout droit vers le mur du studio et ne voient pas le palais fédéral. Nous non plus d’ailleurs, puisqu’il est flouté. Mais chut, ceci est un secret... diplomatique ?
- Conseil fédéral 2010
Oups !
La tradition semble s’orienter depuis quelques années vers des images officielles entièrement fabriquées. Conceptuelles, devrait-on dire. Ce qui est étonnant c’est que cela se voie à ce point et que cela semble bien assumé par leurs auteurs. Les citoyens doivent maintenant se faire à l’idée d’un gouvernement qui fait de la communication, même si c’est parfois un peu laborieux. Nos édiles ne sont pas des mannequins habitués aux flashes des studios et - notoriété oblige - on ne peut pas les retoucher comme on le ferait d’un modèle anonyme.
Pour faire de la com’ au moyen d’allégories, il faut être habile et maitriser toutes les ficelles de la représentation visuelle. Un palais fédéral en mosaïque de pixels, cela va plaire à certains, qui trouveront là un audacieux symbole de modernisme, alors qu’il ne s’agit que d’un vieux truc servant à masquer un manque d’imagination par de la joliesse à bon marché. D’autres trouveront dégradant qu’on puisse flouter un palais fédéral, siège et symbole des institutions nationales, comme on le ferait du visage d’un repris de justice ou d’une marque commerciale à gommer. Cette métaphore technoïde, un peu bling bling, saura-t-elle convaincre des électeurs qui déjà ne voient pas d’un bon oeil qu’un minaret défigure leur paysage ? Rien n’est moins sûr ! Et que dire de l’ambiance crépusculaire qui nimbe tout le cliché ? Ces personnages vont-ils à la fête ? Ou entrent-ils dans une nuit incertaine, une nuit où tous les coups sont permis ? Mais chut, ceci est un secret... bancaire ?
L’image est due au photographe Alex Spichale. La version originale se trouve sur le site de la confédération. On y trouvera également une version « avatar », mais pour la voir en 3D il faudra commander les lunettes spéciales (gratuites). Les épisodes précédents de la saga sont à revoir ici, ici, ici et ici... Le site de la confédération abrite aussi les archives des photos du CF.
Revoici le temps de ma revue des revues de l’année en images. Mais l’exercice devient un peu lassant, tant les styles éditoriaux de la plupart de ces revues n’évoluent pas d’une année à l’autre et tant les sujets traités semblent être toujours les mêmes, ce qui est infiniment plus grave. Et ce n’est pas la faute aux photographes, c’est bien ce qui accable le monde qui ne change pas. Ou si peu.
Dans ma sélection - très subjective et exclusive - je me retrouve toujours avec une majorité de sites américains. La tradition des revues de l’année est-elle plus fortement implantée chez les Étasuniens ? Les agences et banques d’images - puisque je ne cite que des revues basées sur les images - y sont-elles mieux fournies qu’ailleurs ? Les rédacteurs photo sont-ils plus futés qu’ici, les droits pour la rediffusion des photos sont-ils moins élevés, ou suis-je en train de virer américanophile ? Toujours est-il que j’ai trouvé bien peu de revues de l’année en images, issues du monde francophone, qui soient présentables.
• Avec un choix très équilibré de bonnes images, qui toutes racontent quelque chose, le diaporama du New York Times se détache un peu du lot. On sent ici, encore plus que pour les autres revues de l’année, une volonté de ne pas présenter que la noirceur du monde, sans pour autant se vautrer dans le cliché facile. Classe.
• Le bien nommé The Big Picture, du Boston Globe est vite devenu incontournable. Cela se passe en 3 parties : part 1, part 2, part 3. Il n’a pas échappé aux agences de presse que nous terminons la première décade du siècle. Cela nous vaut quelques revues d’images de la décade. Et pendant que nous sommes sur place, regardons encore quelques clichés de saison.
• L’agence de photographes L’Oeil Public présente une attachante rétrospective qui porte sur les terrains visités par les photographes maison durant l’année. On n’y trouvera pas l’exhaustivité et les « classiques » des sites de presse. Les photographes de l’agence travaillent ailleurs, autrement, sur le long terme et portent un regard différent de celui de l’actualité vite faite, vite vue.
• En 48 images, évitant les sentiers battus, Time présente un diaporama très concis, dans lequel tous les malheurs du monde ne trouvent pas leur place. En passant, un petit diaporama sur le grand Fellini.
• Magnum ne publie pas de revue de l’année. Par contre, on trouve sur leur site une approche originale (et commerciale ;-) consistant à nous présenter des galeries de photo sur des évènements dont les anniversaires vont être célébrés dans l’année à venir (cliquez sur les mois en haut de la page).
• Reuters publie une interminable série de 151 photos (souvent excellentes, mais bien trop nombreuses !) Eux aussi y vont de leur revue de la décade.
• Le Temps présente un choix d’images très convenues, aussi ennuyeuses que des photos de classe dont on ne fait pas partie. Si le photojournalisme consiste à montrer des vues officielles de réunions de politiques, figés à jamais dans leur inaction, on ne va pas regretter sa disparition !
Je renonce à vous présenter des rétrospectives racoleuses et/ou pipoles vues sur des sites d’hebdomadaires « papier ». Le pompon est décroché par Paris-Match : dans une galerie photo consacrée aux disparus de l’année, on peut voter pour attribuer une note moyenne aux défunts, exactement comme sur les sites de commerce où l’on est amené à voter pour un modèle de machine à laver ou pour une marque de biscottes.
Dans un genre assez différent des revues citées ci-dessus, avec du recul et du sens critique, André Gunthert nous présente 9 images pour 2009. Ses choix reviennent sur des images qui ont suscité des commentaires liés à leurs propriétés d’images et pas seulement aux événements qu’elles ont relatés.
Note de service : Je vais me faire encore un peu plus rare sur ce blog dans les semaines qui viennent, car je suis en plein déménagement. Et dans la vraie vie, c’est un peu plus compliqué que de changer de serveur ou de disque dur ;-)
Heureuse nouvelle année à vous qui me lisez.
Les électeurs suisses ont donc accepté, avec 57,5% de oui, l’initiative [1] du parti nauséabond leur proposant d’interdire la construction de minarets en Suisse. La honte ! Le pays comptant pour l’heure 4 minarets en tout et pour tout, on sent bien que le problème est ailleurs. Le véritable enjeu de cette votation n’a leurré personne, ni les pour ni les contre. Bien que les initiants s’en défendent, les électeurs ont bien compris qu’il s’agissait de se prononcer sur des questions bien plus vastes, qu’il est difficile de formuler directement, car elles touchent à l’acceptation des musulmans, à leur intégration, à leur rejet. De ne pas objectiver ces questions, permet aussi de donner libre cours à tout un fatras d’idées fausses, de fantasmes et de pressentiments non résolus, enfouis au plus profond de la conscience du commun des mortels, bref de placer l’émotionnel bien au-dessus du raisonnable. Les stratèges du parti qui pue ont donc ressorti les habituelles et efficaces recettes basées sur de vieilles peurs, réchauffées par un radicalisme musulman dont on n’a pour l’instant pas vu le premier verset dans nos paisibles vallées.
Pour sa campagne, le parti qui schlingue a donc édité une affiche dont l’illustration représente des minarets qui, tels des missiles, transpercent un drapeau suisse. Au premier plan (en grand, ce qui montre bien que ce ne sont pas les minarets qui posent problème) on voit un personnage voilé. J’utilise à dessein le terme de personnage, car il est volontairement peu typé pour que le spectateur puisse l’investir de ses propres peurs : femme voilée, terroriste masqué, vague bédouin, etc. L’économie de couleurs n’est pas fortuite (le parti a largement les moyens de se payer une hexachromie avec dorure à la feuille en gaufrage, s’il le faut !). Les gros aplats noirs convoquent le mystère, la mort, la terreur, le rouge se chargeant du sang, mais aussi de la véhémence, de l’urgence. L’illustration touche au degré zéro de la métaphore. [2] Pas de second degré ici, il faut que tout le monde puisse comprendre en un quart de seconde.
Par calcul, avec une parfaite connaissance du comportement des médias et des responsables politiques, cette affiche a été voulue scandaleuse. La manoeuvre a fonctionné au-delà de toute attente. Très vite, dès qu’elle a été divulguée (et pas encore affichée) des protestations ont fusé de partout pour s’opposer à son affichage, alors que pour certains, également opposés à l’affiche, il fallait se montrer tolérant au nom de la liberté d’expression. Les initiants ne manquaient pas de se victimiser en jetant l’anathème contre ces bien-pensants qui réclament une censure. De nombreuses municipalités ont dû se déterminer pour ou contre cet affichage. On arriva même à des situations ubuesques quand une commune [3] interdisait l’affichage alors que les CFF [4], sous administration fédérale, l’autorisaient dans l’enceinte de la gare ! Ce bal a duré plusieurs semaines : pas un jour ne s’est écoulé sans que la presse écrite, parlée ou télévisée ne nous relate une nouvelle interdiction ou permission d’affichage et mette en scène des débats aussi vains que figés. Quel que soit son avis sur l’initiative, chacun a dû prendre position et défendre un point de vue sur l’affichage, assurant ainsi un buzz incroyable à l’initiative.
On a ainsi perdu beaucoup de temps en se cristallisant sur l’affiche et en n’abordant pas les questions de fond. Quand elle s’est réveillée, l’opposition à l’initiative a été faible et peu structurée. Tous les milieux politiques et les partis - à l’exception du parti qui fouette - sont opposés à l’initiative, mais peinent toujours à s’entendre et à se coordonner pour lutter efficacement contre un ennemi bien circonscrit et qui fait bloc. De plus, le monde politique s’est senti un peu trop sûr de lui, convaincu de détenir une vérité partagée par une bonne majorité des citoyens. Cette naïveté était confortée par les sondages [5], mais avec le temps, nos politiciens devraient commencer à savoir que sur des questions portant sur des sentiments peu avouables, les instituts de sondage ne sont pas fiables. (Et sur ce point, ce ne sont pas nos amis français, qui ont vu leur parti nauséabond passer au premier tour des présidentielles de 2002, qui nous contrediront.) En plus du naufrage de certains idéaux humanistes, ce dimanche marque aussi la grande défaite d’une classe politique naïve et dilettante. (J’entends en ce moment leurs propos lénifiants à la radio... il est foncièrement impossible pour un politicien de reconnaître une défaite.)
On peut remarquer que dans 2 cantons (Genève, Bâle-Ville) abritant une forte communauté de musulmans, l’initiative a été rejetée. Les petits cantons montagnards (de « Suisse primitive », terme officiel qu’on peut bien sûr interpréter à sa guise ;-) acceptent le plus massivement cette initiative, alors que la plupart de leurs habitants n’ont jamais vu un musulman ailleurs qu’à la TV. Étonnant, non ?
Notes:
[1] L’initiative n’est pas à confondre avec le référendum, comme on le fait le fait sur les ondes de France Inter !
[2] genre le marteau qui écrase les prix !
[3] Lausanne
[4] Chemins de Fer Fédéraux
[5] Le dernier sondage indiquait 37% de oui
Grande première au 3e Marathon de Lucerne. La manifestation sportive, qui a eu lieu le 25 octobre, a été couverte par des photographes dont les images étaient visibles en direct live sur internet [1], sous la forme d’un diaporama qui se construisait au fur et à mesure du déroulement de la course. 7’000 internautes ont suivi la course en direct, alors que dans les 10 jours suivants, pas moins de 40’000 visiteurs se sont logués sur le diaporama. Pas mal pour une première. Le diaporama était également projeté sur écran géant dans l’aire d’arrivée. On peut voir une archive du diaporama ici. Swiss-Images est une agence ou banque d’images - on ne sait trop - d’un nouveau type. Elle est à la pointe du développement du Remote Picture Editing, technique consistant à transmettre des photos événementielles par réseau. Le photographe se concentre sur la prise de vue et « derrière », les photos sont éditées et mises en ligne en quasi temps réel. Les photos sont visibles sur internet par les internautes et la presse peut y faire son marché (avec des accès spécifiques). Les coûts de production, à vitesse égale, étant considérablement plus faibles que pour la vidéo on peut dire que c’est, en quelque sorte, la photo qui prend sa revanche sur la TV. (Et c’est encore sans compter avec la vidéo embarquée sur les plus récents APN professionnels !). Mais le procédé bouscule aussi la chaine traditionnelle de production de photos de presse d’actualités. Et pour bien remuer le bâton dans la fourmilière, Swiss-Images offre certaines de ses prestations gratuitement à la presse. Immédiateté, court-circuitage des intermédiaires, compression des prix, gratuité pour le public, diffusion en ligne, sont des éléments permettant de dessiner une tendance forte pour le devenir de la photo de presse, ou tout au moins pour sa partie évènementielle.
Pour l’instant, les transmissions de photos « vers l’arrière » se font par le truchement des réseaux disponibles (Wifi, WLAN, UMTS, HSDPA) et avec le matériel disponible (ordinateurs portables et autres solutions avec modems embarqués) mais gageons que le Wifi et la 3G feront bientôt leur apparition dans les APN professionnels.
Le procédé est expliqué ici (en anglais)
Voir aussi Idruna Software qui propose une solution technique.
Le site de Swiss-Images en allemand ...et en anglais (pas complet par rapport à la version allemande)
Notes:
[1] avec un décalage de 60 à 120 secondes