Mots d'images


Le petit monde des commentateurs pipolitiques suisses s’agite autour d’une carte de voeux. La plupart des citoyens du pays - et moi en premier - ignoraient jusqu’ici que les conseillers-ères fédéraux-ales imprimaient, chacun-e selon son goût et son bon vouloir, des cartes de voeux à l’occasion des fêtes de fin d’année. Ce n’est pas qu’on s’en tape, mais comme nous n’avons pas l’honneur de figurer dans leurs carnets d’adresses, nous ne nous étions jamais posé la question. Or, voilà-t-y pas que Micheline vient secouer le sapin en envoyant une carte chargée d’une image qui bouscule des conventions pétries d’insignifiances enneigées.

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Le monde est fragile. Prenons-en soin !
© Sylvie Fleury

Sur l’image - un photogramme d’une vidéo de l’artiste Sylvie Fleury - on voit les jambes d’une femme chaussée de talons aiguilles brisant des boules de Noël. La légende nous dit : « Le monde est fragile. Prenons-en soin ! »
L’image et la dichotomie entre le texte et l’image ont suffi à mettre en branle toutes les machines à fabriquer des interprétations phantasmées. Je ne vais pas y ajouter les miennes, si ce n’est pour relever que je trouve la pirouette amusante et pas vraiment surprenante de la part d’une battante de la trempe de Micheline Calmy-Rey. Les grands stratèges en communication n’apprécient pas. Mais en politique il vaut parfois mieux plaire à ses partisans qu’à vouloir convaincre à tout prix ses adversaires. Pour ceux qui ont raté quelques épisodes, résumons que Micheline Calmy-Rey sort d’une année très mouvementée pour elle et pour le Conseil fédéral en général. Son très mauvais score à l’élection (formelle) au titre de présidente de la Confédération pour 2011 dit bien le ressentiment de nombreux parlementaires : chez nous on n’aime pas ceux qui dépassent, surtout si ce sont des femmes. Qu’il me soit permis de recommander à Mesdames les Conseillères fédérales, désormais majoritaires dans ce conseil, de bien secouer le sapin confédéral.

Le Temps : Les vœux du Palais, entre audace et tradition.

Béat Brüsch, le 29 décembre 2010 à 03.04 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: culture , métaphore , société
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Le monde de nos ancêtres était-il en couleurs ? La production photographique et cinématographique de la première moitié du 20e siècle peut parfois donner l’impression que la vie s’y déroulait en noir et blanc. Petit voyage autour de cette particularité du noir/blanc, de quelques usages et de quelques conséquences...


La plupart des images que nous connaissons des temps préphotographiques étaient en couleurs. Personne n’aurait eu l’idée de faire de la peinture en noir/blanc, puisqu’on savait le faire en couleurs. Seuls certains types de gravures, pour des raisons techniques, étaient monochromes. Mais chaque fois que cela a été possible, on a produit des images en couleurs. L’apparition de la photographie, qui s’est rapidement imposée comme un moyen pratique de fabriquer des images, bon marché et diffusables à merci, a aussi promu le noir/blanc. Cette convention, imposée par une contrainte technique, fut vite assimilée, tant les autres qualités de ces images étaient appréciables, à commencer par l’illusion vériste apportée par le procédé mécanique. Dans notre monde coloré, cette prédominance d’images en noir et blanc a pu créer l’impression - un peu confuse, certes - que la première moitié du 20e siècle était vaguement triste, car manquant de couleurs pimpantes. Ce sentiment est renforcé par le fait que la période a été traversée par des crises graves et deux guerres effroyables, dont le lot d’images, en noir/blanc, n’a pas fini de nous hanter.

Visionnant un documentaire, plutôt quelconque sur le plan formel, l’autre soir à la télé, je subissais un mélange ininterrompu d’images en noir/blanc et en couleurs. Le sujet avait trait à la 2e guerre mondiale. Les scènes filmées « d’époque » étaient privilégiées, mais lorsqu’elles manquaient, on nous servait allègrement des images d’aujourd’hui tournées dans les mêmes lieux ou dans un milieu semblable. Et cela, sans aucune indication de la qualité des images, sauf que les images « d’époque » étaient en noir/blanc et les images contemporaines en couleurs. Banal. Il s’agit d’une convention coutumière des docus de nos télés. [1]

On peut s’interroger sur le bien-fondé d’une telle convention. D’abord, comment fera-t-on pour désigner les images de l’époque actuelle dans 50 ans ? (Peut-être que les images courantes seront alors en 3D et qu’on distinguera les périodes historiques à leur manque de relief ;-) Admettons que le procédé est bien pratique. Mais surtout pour l’auteur, car il est ainsi dispensé d’imagination, tout comme de faire de longues recherches documentaires qui n’entreraient ni dans son budget, ni dans ses ambitions ! Le spectateur, lui, est laissé à la merci des dérives qu’engendrent ces procédés quand ils ne sont pas appliqués avec une rigueur interdisant toute interprétation erronée. Quand les documents visuels ne sont que sommairement mis en perspective, ils tombent dans la banalité, ils sont mal compris, ou produisent des contre-sens.

Bien sûr, dans les documentaires « historiques » on ne rencontre pas que des images noir/blanc, de nombreuses sources et procédés d’imagerie pouvant être mis à contribution. Mais des images authentiquement documentaires (en noir/blanc, of course) y figurent presque toujours. Judicieusement mêlées aux autres, elles sont alors convoquées pour servir de caution d’authenticité pour l’ensemble des images qui endossent ainsi ce crédit de vérisme. Le spectateur, ébloui par tant d’images, est anesthésié et perd tout sens critique. À l’instar de presque toutes les émissions de télé, les documentaires sont devenus des écrans qui bougent, qu’il faut à tout prix remplir d’images, même quand on n’a momentanément rien à montrer. [2]

Le montage est inhérent au cinéma, il donne forme au discours. Il sera éclairant ou crapuleux selon le doigté ou les intentions du monteur (du montreur !). Quand le noir/blanc est utiisé comme « marqueur » historique, il se doit d’être explicite sur son rôle dans le montage. Il doit faire état de son statut (origine, conditions, etc), le mieux étant la manière subtile, légère, mais sans équivoque. Or, cela exige du talent et une volonté éditoriale exigeante, choses qu’on rencontre peu dans la plupart des chaines télé, souvent plus préoccupées à préparer de l’audience et du « temps de cerveau disponible » ! On s’en tiendra donc à cette convention brute : le noir et blanc c’est pour hier et la couleur c’est pour aujourd’hui. Point.

Je me suis souvent demandé

si et comment on pouvait comparer le montage cinématographique au montage photographique. Je m’interroge surtout de savoir pourquoi le premier est généralement mieux accepté que le second. L’usage du noir/blanc versus la couleur permet-il d’éclairer un pan de la question ?

Dans un montage cinématographique, quand on présente des documents historiques, les originaux ne sont pas altérés, leur « matière » originelle est visible et nous met en confiance. Pourtant, leur présentation en un enchainement d’images (ou de séquences) construisant une narration peut en dénaturer la signification. L’ordre de succession des images et leur durée nous sont imposés. Emportés par le récit, nous ne nous rendons pas toujours compte que la somme des images - et donc la signification de l’ensemble - n’a plus grand-chose à voir avec les images prises isolément. Il n’est qu’à se rappeler l’effet Koulechov pour en prendre conscience. Nous continuons de croire à l’authenticité de ce que nous avons vu puisque des images documentaires, dont la « réalité » est incontestable, nous ont été présentées. Nous pensons avoir gardé notre libre arbitre alors qu’il a été influencé par le montage, c’est-à-dire par un contexte d’essence subjectif (subjectif n’est pas une injure !).

Dans un montage photo, l’original a été altéré ou a disparu complètement, nous ne pouvons pas le voir. Le montage peut être indiscernable, il peut être indiqué dans une légende, il peut être implicitement ou explicitement visible dans l’image, ou pire encore, dénoncé par un blog ;-) Peu importe comment nous savons qu’il s’agit d’un montage, il sera presque toujours déconsidéré même si l’intention est défendable (si si, ça existe ;-) On s’en rend bien compte lorsque nous lisons les réactions des gens vis-à-vis des retouches : nous ne supportons pas qu’on dérobe à notre vue, ce que nous pensons être une vérité. En quelque sorte, nous voulons voir de nos propres yeux, même si on nous raconte des histoires. On peut noter aussi que là où le film a tout son temps et ses moyens pour expliquer et contextualiser les images, le photomontage doit se défendre seul avec juste, peut-être, une légende explicative. Mais laissons cette comparaison qui montre vite ses limites...

Il faut toutefois remarquer

que pour des images fixes, quand nous pouvons voir l’« avant » et l’« après » d’une intervention ou d’un changement, nous sommes un peu plus conciliants. Nous admettons, dans ce cas, certaines altérations, car la juxtaposition des images s’apparente alors aux conditions du montage cinématographique évoqué plus haut : on peut continuer à voir l’original. Mais le message est alors souvent dévoyé, car on se concentre sur l’analyse de ce qui a changé entre les deux versions de l’image et c’est le « jeu des 7 erreurs » qui prend le dessus. Mais il en va tout autrement, si le propos est justement d’exprimer des changements visuels. On peut alors montrer 2 images côte à côte, ou successivement dans une animation avant/après, comme je le fais quelques fois dans ce blog. Il y a là un (tout petit) scénario, un déroulé temporel permettant de voir l’original dans sa virginité et de le comparer à une autre image. Il est, par contre, plus difficile de mêler les éléments de deux images en une seule, de façon crédible ou acceptable. C’est pourtant ce qu’à parfaitement réussi, à mon sens, Jo Hedwig Teeuwisse, dans des montages de photos d’archives de la 2e guerre mondiale combinées avec des images contemporaines des mêmes lieux.

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Bureau de recrutement des SS - Amsterdam durant l’occupation
© Jo Hedwig Teeuwisse

Ces montages produisent un effet déconcertant. Les photos d’archives de scènes de rue (en noir/blanc) y sont collées sur une prise de vue contemporaine (en couleurs) réalisée au plus près de l’image de référence. Les photos « d’époque » sont détourées de façon judicieuse et bien marquée pour faire apparaitre, soit les différences entre elles, soit des zones repères soulignant la superposition exacte des 2 prises de vue. Un dispositif pour ainsi dire simpliste - tant nous sommes habitués à une surenchère d’effets - mais ô combien efficace ! La juxtaposition d’images de la foule des passants insouciants d’aujourd’hui avec des événements dramatiques d’hier, un instant déroutante, devient très vite éloquente. L’unité de lieu nous est rendue de manière péremptoire, alors que l’espace-temps se dérobe en nous révélant deux instantanés distants. Tels des fantômes, ces acteurs d’un autre temps viennent nous rappeler, dans un vertige saisissant, que c’est bien sur terre et même juste là, au coin de la rue, que ça se passait. (Limite du système : comment obtenir un effet semblable quand les documents historiques sont en couleurs ?)

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Deux jours après la capitulation de l’Allemagne, la foule a été mitraillée par des officiers allemands - Amsterdam mai 1945
© Jo Hedwig Teeuwisse

On pourra bien sûr chipoter en réaffirmant l’intangibilité des documents historiques. Pour moi, un résultat aussi pertinent vaut bien quelques aménagements avec la doxa des historiens. Cela d’autant plus, que les sources restent disponibles dans leur intégrité, que tout le monde peut les consulter et que ce montage, forcément visible, ne cherche en aucun cas à nous leurrer. (Il s’agit bien plus de nous montrer quelque chose et à ce titre ou pourrait appeler cela des « photomontrages » :-) Sur Flickr, Jo Hedwig Teeuwisse, l’auteure de ces montages, présente quantité de photos anciennes qu’elle collectionne. Seules quelques unes sont photoshopées, quand leur propos s’y prête, et surtout, quand le lieu a pu être identifié et photographié. Jo Hedwig Teeuwisse est consultante en histoire pour le cinéma et vit à Amsterdam. [3]

On retrouve ces « noir/blanc historiques »

dans une fonction ajoutée à GoogleEarth. Le dispositif présente des vues anciennes de la zone affichée accessibles depuis une timeline [4] Les vues historiques ont été assemblées à partir de photos aériennes pour s’afficher de la même manière que les vues par satellite ordinaires. Peu d’endroits sont pour l’instant « équipés » et on ne sait s’il est prévu de généraliser ce projet (liste ici). Les villes disponibles présentent des images de l’époque de la 2e guerre mondiale prises par les forces alliées en... noir et blanc. La plus remarquable, de par la qualité des photographies aériennes et de la vision explicite qui s’en dégage est Varsovie. L’aller et retour entre les images anciennes et contemporaines est saisissant même si les échelles respectives des images ne sont pas parfaitement concordantes. (Les icônes de la vie d’aujourd’hui ne sont pas désactivées et cela créé un drôle d’effet que de voir le signalement des bars, restaurants et hôtels au milieu de ces ruines !)

Varsovie
Varsovie

Passer la souris sur l’image

Un autre projet présentant des vues historiques in situ prend forme sur le site Historypin. Il se matérialise aussi avec l’aide de Google (qui est décidément sur tous les bons coups). Ici, ce sont des images d’antan (pas toujours en noir/blanc) qui sont envoyées par les internautes. Comme sur GoogleEarth, les images sont localisées sur la carte. Mais, en plus, on peut restreindre la recherche à une époque sur une timeline.

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Paris - Champs Elysées 1856
Science & Society Picture Library

Ce qui devrait faire l’attrait ultime d’Historypin c’est qu’on peut ensuite afficher ces images en situation à l’aide de Google StreetView. Je mets cela au conditionnel, car si l’affichage a bien lieu, les caractéristiques géométriques (format, perspective et autres effets optiques) concordent rarement. Les photos fournies par les internautes et celles réalisées par les robots de Google ont des caractéristiques trop disparates pour bien se recouper. En général, on est loin de l’effet saisissant des montages de Jo Hedwig Teeuwisse évoqués plus haut. La démarche reste néanmoins captivante pour les internautes amateurs de perspectives historiques. Issue d’une organisation britannique, son activité se concentre pour l’instant sur le Royaume-Uni.

Il existe assurément bien d’autres exemples

significatifs de cet effet de « noir/blanc historique ». Il n’est pas question d’en faire l’inventaire ici. Mon propos était juste d’évoquer le phénomène pour l’extraire un instant de sa banalité. On pourrait aussi évoquer la colorisation (pour les films) qui arrive un peu comme une conséquence démagogique de la connotation vieillotte du noir/blanc. Mais cela est une autre histoire...

Notes:

[1] « Au cinéma, le noir et blanc évoque aujourd’hui une atmosphère du passé, vieillotte et d’autrefois et sert à montrer le passage du temps, le temps révolu. Il montre le caractère esthétique des objets et des personnages et évoque la photographie d’art. Il évoque le « sérieux », les preuves et les documents authentiques, exacts et véridiques du documentaire sur le passé. » (Wikipedia - Noir et blanc - Article en ébauche concernant l’art)

[2] Pour beaucoup de documentaires, le propos tiendrait sur une seule feuille A4. Pour ceux-là, seule la dramaturgie entretenue par le montage peut, à la rigueur, susciter un intérêt soutenu. Le pompon de la vulgarisation à grand spectacle est détenu par les docus-fictions, nouveaux avatars de la télé qui veut plaire au plus grand nombre. Passe encore quand ils sont affichés comme tels. L’ennui c’est que les passages de docu-fiction s’invitent de plus en plus dans les docus ordinaires.

[3] Sur son compte Flickr Jo Hedwig Teeuwisse présente de nombreuses collections de documents des années 1900 à 1950. Les photomontages tels que ceux présentés ci-dessus, les documents bruts ainsi que leurs légendes sont visibles dans cette collection. (collection : history / set : Then & Now, old photos and today’s location) Pour voir un diaporama ne contenant qu’un florilège des photomontages on consultera cette page du Huffington Post.

[4] Pour afficher la time line, cliquer sur l’icône représentant une montre, dans la barre d’outils du haut de la fenêtre.

Béat Brüsch, le 8 décembre 2010 à 11.48 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: documentaire , guerre , histoire , photomontage
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Project’images - Festival de l’image - Chêne-Bourg (c’est près de Genève) ouvrira ses portes du 23 au 28 novembre 2010. Il est consacré à de nombreux aspects de l’image, dont la cinématographie, la photographie, le diaporama, le Vjing, la 3D. Il est organisé, notamment, par l’USPP (Union Suisse des Photographes Professionnels), Photo-Suisse (Association suisse pour la photographie, qui réunit les photo-amateurs). L’invité d’honneur est RSF, section suisse (Reporters Sans Frontières) qui en profitera pour lancer l’album Jean Mohr, 100 images pour la liberté de la presse.
Le mardi 23 à 20h30, le festival s’ouvrira sur une table ronde : L’image au service de la société (vaste programme ;-) En plus d’expositions permanentes de l’USPP et de Photo-Suisse, de nombreux ateliers, projections, débats et autres animations auront lieu durant toute la durée du festival. Programme complet à consulter ici.

Béat Brüsch, le 18 novembre 2010 à 12.21 h
Rubrique: Voir de ses yeux
Mots-clés: amateur , culture , exposition , professionnel
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L’exposition Innuendo a ouvert ses portes à Genève le 4 novembre. Elle réunit 7 artistes travaillant l’image fixe et animée autour d’« ...une réflexion sur la notion de fiction, perçue comme une construction de l’imagination et comme un jeu avec le réel ; sans toutefois prétendre aboutir à une quelconque définition... » Je n’ai pas vu l’exposition, mais, comme vous je peux voir le catalogue de l’exposition en ligne. C’est toujours çà et je pourrais m’en contenter. Je peux aussi décider de commander sa version papier et/ou être incité à me rendre à l’exposition.

Le catalogue est entièrement visible et consultable, tel un fac-similé de sa version imprimée, sur la plate-forme issuu. Cette pratique est réjouissante et mérite d’être signalée. Ce mode de consultation, de diffusion et de partage est typique des nouveaux usages engendrés par internet. Même s’il va faire grincer quelques vieilles dents, ce modèle va s’imposer de plus en plus.

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© Lorenzo Menoud, de la série Secours, 2010

Innuendo est organisée par NEAR - l’association suisse pour la photographie contemporaine - qui n’en est pas à son coup d’essai en matière de publication de belles photos sur internet. NEAR publie NEXT, une belle et généreuse revue mensuelle en ligne (toujours sur issuu). La dernière version (No25) est visible ici. Les expositions que je signale sur mon précédent billet, et bien d’autres encore, y sont mentionnées. Sur le site de NEAR, vous pourrez vous abonner à la newsletter qui vous signalera chaque nouvelle publication (mensuelle) de NEAR.

Béat Brüsch, le 9 novembre 2010 à 12.30 h
Rubrique: Regarder en ligne
Mots-clés: exposition , médias , partage , usages
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Le musée de l’Élysée présente l’exposition Les petits métiers d’Irving Penn. Au début des années 50, le célèbre photographe de mode entreprend de photographier des représentants de ces petits métiers qui le fascinaient durant ses séjours dans différentes villes (Paris, Londres, New York). Son dispositif était simple et astucieux : il convoquait ses modèles dans un studio improvisé et les faisait poser devant un fond en papier neutre. L’éclairage latéral très simple était toujours du même acabit. Cela l’autorisait à reproduire facilement des conditions similaires en tous lieux et à des époques différentes. On saisit bien l’avantage de pouvoir ainsi composer une oeuvre homogène qui permettrait, en plus, de comparer valablement des métiers semblables pris dans des villes différentes. L’effet de série, en rendant bien visibles les différences, permet ainsi à chaque sujet d’affirmer sa propre individualité. Cette façon de faire avait d’autres conséquences : « Éloigner les modèles de leur environnement naturel et les installer dans un studio face à l’objectif, n’avait pas seulement pour but de les isoler, cela les transformait » déclare-t-il. L’effet est magique. Devant l’attention bienveillante du photographe, les sujets s’impliquent dans leur rôle, se prennent au sérieux et se montrent sous un jour qu’ils jugent favorable, ne manquant pas d’arborer leurs outils et attributs dans un vrai souci documentaire. Enfin, on imagine tout de même que certains auraient bien voulu s’endimancher un peu... Ce qui m’a frappé dans ces tirages est l’importance des zones de tons noirs très denses et offrant peu de détails, si ce n’est que leurs contours dessinent bien les silhouettes. La plage dynamique de ces photos est bien détaillée dans les gris moyens, un peu moins dans les tons clairs et presque pas du tout dans les tons foncés. Tout le monde parle toujours de noirs « profonds »... J’ai l’impression que cette expression est un lieu commun qui cache une pauvreté d’expression. En général cela signifie tout simplement que les noirs sont... très noirs. Pour moi, ces noirs-là sont plutôt opaques, ils ne laissent voir ni deviner aucun détail. Techniquement on appelle cela des noirs « bouchés » [1]. En argentique il était déjà possible de les « déboucher », encore fallait-il le vouloir. En numérique il est devenu extrêmement courant de le faire et il ne m’étonnerait pas que certains logiciels embarqués le fassent à l’insu des auteurs de photos. Les noirs d’Irving Penn me frappent parce que j’ai l’impression qu’on ne voit plus beaucoup de noirs aussi plats de nos jours, parce que je pense qu’on s’habitue à des noirs plus travaillés, bref, parce que notre regard est peut-être en train de se modifier.

Ces tons noirs, qui ne sont pas de la noirceur (!), sont bien sûr un parti-pris esthétique. Leur bel effet graphique ne peut être contesté. Mais, comme souvent en photo argentique, ces choix pourraient ne pas être de vrais choix, dictés qu’ils sont par des contraintes techniques plus ou moins librement consenties ou, au contraire, exploitées...

L’exposition présente quelques tirages au platine-palladium du plus haut intérêt et d’une qualité impressionnante. Outre leur texture très sensuelle, elles arborent une plage dynamique plus étendue que les mêmes images en tirage « normal ». Cela est surtout visible dans les tons moyens et presque pas dans les tons noirs. Penn avait acquis une grande maitrise dans cette technique et le fait qu’il laisse ses tons noirs en l’état, c’est-à-dire sans détails, montre que c’est probablement ce qu’il voulait, qu’il s’agit d’une décision artistique.

Ces remarques d’un vieux pinailleur n’enlèvent évidemment rien à l’intérêt de cette exposition, dont les photos portent avant tout l’empreinte d’une belle chaleur humaine. Elle comblera tout autant l’amateur de photos exigeant que l’esthète. Et le grand public curieux de divertissements de qualité ne s’y trompe pas, c’est du moins l’impression que j’ai eue un dimanche après-midi.

L’exposition Les petits métiers est une reprise de l’exposition d’Irving Penn, organisée par le Paul Getty Museum de Los Angeles et vue cet été à la Fondation Henri Cartier-Bresson à Paris.

Bernd & Hilla Becher

Pour rester dans les effets de série, le musée propose une « lecture » particulière de l’oeuvre des époux Becher. Leur travail est montré ici sous le seul aspect de leur production imprimée. Sauf le respect dû à des icônes de la photographie moderne, je n’avais jamais développé un goût prononcé pour leurs inventaires de l’architecture industrielle. La vision qu’en donne cette exposition change un peu ma perception. La manière intelligente avec laquelle ils ont mis en scène leur travail au cours des années est en parfaite phase avec les gouts graphiques et typographiques des périodes traversées. Le Bauhaus n’est pas encore très loin. Le souci didactique est grand, mais la rigueur, à l’image de toute leur démarche, n’est jamais absente. C’est peut-être dans la vision des séries de petites photos juxtaposées que le sens de leur travail est le plus aisément perceptible.

Gilles Caron

On apprend par ailleurs que le musée a reçu 144 tirages de Gilles Caron, de la part de la Fondation Gilles Caron basée à Genève. C’est une donation d’importance sur laquelle le musée communique très peu... [2] Il propose néanmoins en ce moment, dans la petite salle du sous-sol, une projection sur Gilles Caron. On se dit : « Encore un de ces diaporamas ennuyeux, un peu flous et mal foutus comme on en voit trop souvent dans des expositions au budget trop serré pour proposer une vraie muséographie avec de beaux tirages ! Mais bon, ce n’est pas ça, il s’agit de 2 films documentaires. [3] Et ça se laisse tout à fait regarder (surtout par un dimanche pluvieux ;-) Ces films nous parlent des 2 photos de mai 68 les plus célèbres. Pour celle de l’étudiant pourchassé par un CRS, on fait parler les 2 protagonistes qu’on a retrouvés pour l’occasion. L’autre, la photo de Daniel Cohn-Bendit au sourire goguenard est mise en perspective dans un autre film, extrait d’une projection à Visa pour l’image.

Les 3 présentations actuelles seront visibles jusqu’au 16 janvier 2011.

Notes:

[1] Pour plus de détails, on consultera mon billet sur Le contraste local où ces questions de plage dynamique sont abordées.

[2] Sur la brochure imprimée consacrée aux expositions actuelles, on peut lire qu’une partie des photographies de cette donation seront projetées en plus des documentaires. On lit aussi qu’une exposition consacrée à Gilles Caron est en préparation. Sur le site internet, par contre, il n’est plus question de projection de photos et on ne parle plus de l’organisation de cette exposition...

[3] Détails ici. À part une bande-annonce, je n’ai pas trouvé les films sur internet... Il y a donc encore des oeuvres qu’on ne peut voir qu’à travers les canaux traditionnels ;-)

Béat Brüsch, le 8 novembre 2010 à 21.52 h
Rubrique: Voir de ses yeux
Mots-clés: argentique , musée , photographe
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