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mot clé «photojournalisme»
Les grands classiques

Cette photo, prise par Gilles Caron devant la Sorbonne le 6 mai 1968, est la plus emblématique du mouvement de mai 68. L’attitude de défiance narquoise qu’arbore Daniel Cohn-Bendit face au représentant de l’ordre résume parfaitement l’esprit frondeur du moment. En 1967, Gilles Caron entre à l’agence Gamma tout juste fondée. Il y retrouve Raymond Depardon. Ce dernier, trop occupé sur d’autres terrains, couvre peu les événements de la rue. Il déclare : « ... Du coup, je ne me suis pas retrouvé à Nanterre fin mars. Gilles Caron y était. Il s’est senti concerné, il n’avait pas une grande différence d’âge avec les étudiants. Il a connu là-bas Cohn-Bendit, les étudiants sont venus à la Sorbonne, il était là, ensuite rue Gay-Lussac... » [1] D. Cohn-Bendit déclare : « ...Partout où nous sommes, Gilles Caron semble y être. Ma mémoire des événements de 68 est structurée par ses photos... » [2] On peut voir quelques-unes de ses photos de mai 68 et d’autres, dans ce portfolio de l’agence Contact Press Images.
Au moment des événements de 68, Gilles Caron est tout juste de retour du Biafra où, dans des situations effroyables, il côtoyait son pote et concurrent, le photographe de guerre Don McCullin. Auparavant, en 67, il couvrait (magistralement) la guerre des Six Jours et se rendait également au Sud-Vietnam. En 69, il est à Londonderry et à Belfast, puis en Tchécoslovaquie pour l’anniversaire de l’écrasement du Printemps de Prague. En 70, il est retenu prisonnier pendant un mois au Tchad, avec Raymond Depardon, Michel Honorin et Robert Pledge. Cette hyperactivité est bien à l’image de sa très courte et très remplie carrière de photographe de presse. De 1967 à 1970, il vit à 100 à l’heure et on le retrouve sur tous les terrains de conflits. Raymond Depardon : « ... Il m’a dit qu’il fallait absolument aller au Cambodge. Il avait cet esprit terrible que j’appellerais l’esprit « Belle Ferronnière ». C’est le nom du café, situé en face de Paris Match, le centre de la photographie française. En 1970, si vous étiez là un peu trop longtemps, il y avait toujours un confrère - je dirais pousse-au-crime - pour vous demander pourquoi vous n’étiez pas au Cambodge… » [3] En avril 1970, McCullin, informé du pire en arrivant au Cambodge, fonce au bureau de l’AFP : « ... Je n’y ai trouvé que des mines consternées et les sacs de voyage de Gilles, proprement fermés : il les avait laissés à son hôtel, sans savoir que ce serait pour de bon... » [4]
Gilles Caron nait en 1939 à Neuilly-sur-Seine. Il passe son enfance à Maison-Laffite puis à Argentières (Haute-Savoie). Au service militaire, en Algérie comme parachutiste, il fera 2 mois d’arrêts de rigueur pour refus de servir, suite au putsch des généraux. Son regard vrai sur la guerre (qu’il détestait) et son engagement passionné pour les grandes questions sociales ont fait de lui - plus que la brièveté légendaire de sa carrière (3 ans !) - un des grands photoreporters mythiques.
À l’heure où cette image de Cohn-Bendit est en passe de devenir une icône aussi dévoyée que celle du Che, il est bon de rappeler qui en était l’auteur pour lui apporter, en toute modestie, un peu d’une reconnaissance qui tarde à venir. Un journal bien connu de Suisse romande (n’ayant pas vocation à prôner la révolution) vient d’utiliser cette photo (recadrée !) pour sa promo en pleine page. La seule signature visible est Publicis !

Notes:

[1] Interview de Raymond Depardon : « Qu’est-ce que l’on fait avec nos images ? » Libération, 5 janvier 2008

[2] Gilles Caron - Photo Poche - Actes Sud : Préface de D. Cohn-Bendit

[3] Interview de Raymond Depardon : « Qu’est-ce que l’on fait avec nos images ? » Libération, 5 janvier 2008

[4] Don McCullin - Unreasonable behaviour / Risques et périls - Delpire


Addenda du 6.05.2008:

A signaler : Gilles Caron et l’image de mai 1968, par André Gunthert.

Béat Brüsch, le 6 mai 2008 à 00.30 h
Rubrique: Les grands classiques
Mots-clés: guerre , photographe , photojournalisme
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Que fait l’homme quand il ne peut pas faire la guerre ? Il fait du sport... C’est du moins ce que pourrait penser un martien tombant sur lediaporama des photos lauréates du World Press Photo 2008. Après une impressionnante suite de photos de guerre, on se dit qu’on va respirer un peu et goûter à la douceur de la vie. Las, c’est le sport qui débarque. Et ce ne sont pas les cueilleurs de champignons qui tiennent la vedette. La violence assumée de ces confrontations sportives nous laisse peu de doutes sur la nature guerrière des hommes.
Le grand prix de cette année - il ne m’enthousiasme que modérément - est décerné à Tim Hetherington. Je suis bien plus impressionné par la série de photos de Francesco Zizola sur la Colombie. Je suis choqué par les enfants chasseurs que nous montre Erika Larsen [1]. Lana Slezic a réalisé des portraits de femmes afghanes, burka relevée et photographiées derrière un tulle. Leur beauté m’interpelle. On voit bien l’idée astucieuse de remplacer un tissu par un autre. Mais cette mise en scène fait furieusement penser à l’imagerie des madones occidentales. Pourquoi les affubler de telles références ?

Notes:

[1] Ce n’est pas la photographe qui me choque, mais les cons qui font cela à leurs enfants !

Béat Brüsch, le 8 février 2008 à 18.45 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: WorldPressPhoto , photojournalisme
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Non, il ne s’agit pas d’un nouveau caprice dû aux bouleversements climatiques. Je veux parler des marronniers qui fleurissent dans la presse en périodes creuses. Et que font les blogs en pareille circonstance ? Je crois que beaucoup de ceux qui restent actifs n’ont pas d’autres choix. Voici donc mon marronnier pour la fin de l’année : la revue des rétrospectives de photos de l’année 2007.
Je ne m’intéresse ici qu’aux rétrospectives mettant la photo au centre de leur approche et je ne prétends pas à l’exhaustivité... Et tout cela nous change un peu des bêtisiers.
Magnum nous présente un beau diaporama un peu en retrait de l’agitation du monde. On y retrouve d’émouvants portraits de ceux qui nous ont quittés dans l’année écoulée. (Si vous survolez la petite flèche en bas de l’image vous arrêterez momentanément la progression du diaporama, le temps de lire la légende qui se révèle alors.)
• (lien cassé) Le magazine l’Express ne propose pas moins de 7 portfolios à l’enseigne de « L’année 2007 en images ». Petit pèlerinage obligé à la rubrique « Ils nous ont quittés en 2007 ». 35 images quand même :-(
La revue de l’année des photos de Reuters (106 images). Toujours très classe. La recherche esthétique domine, même pour les situations dramatiques. Mais cela peut se comprendre dans le cadre d’une sélection.
Le Monde 2 publie un portfolio de 12 images sur les catastrophes climatiques de 2007. Il y a d’autres portfolios en ligne, mais ils ne correspondent pas aux critères retenus pour cette petite revue.
L’année très américaine vue par Times en 48 images (assez lent - pages surchargées).
La revue de MSNBC. Présentation américano-étasunienne avec beaucoup de pathos. Quelques images spectaculaires. Une section sports et une autre consacrée aux images du cosmos. Attention, il y a du son ! On peut se demander si on ne cherche pas par là, à faire passer des photos pour de la télé, histoire de retenir un public peu habitué à regarder des images immobiles avec des légendes à lire ?
• Si vous en voulez encore, visionnez un diaporama géant sur flickr en choisissant, par exemple, tous les « interestingness » de 2007 ! Amusant.

Béat Brüsch, le 30 décembre 2007 à 18.50 h
Rubrique: Regarder en ligne
Mots-clés: agence , médias , photojournalisme
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Tribulations d’un simple visiteur

Le festival Visa pour l’Image, qui rassemble chaque année le monde du photojournalisme, s’est tenu du 1er au 16 septembre à Perpignan. En plus de nombreux colloques et rencontres diverses, il y avait une trentaine d’expositions (ainsi qu’un festival off que je n’ai découvert, sur internet, qu’après mon retour !). Je m’y suis rendu en simple visiteur, et ceci pour la première fois. Je ne suis pas impliqué professionnellement dans le photojournalisme, mais je porte un intérêt soutenu à cette activité et à ses problématiques. En plus des aspects strictement photographiques, c’est tout autant la dimension citoyenne qui me touche. Et sur ce dernier aspect, j’ai été servi : on a rarement l’occasion de voir un tel concentré (quantitatif, géographique, temporel) des misères humaines et des bassesses, tout aussi humaines, qui les causent ! Je précise qu’il ne s’agit pas d’une critique négative et que cela ne doit en aucun cas vous retenir d’y aller l’année prochaine. Bien au contraire. La visite des expositions est assez éprouvante pour le moral. Il y a des images très dures et d’autres, quand la violence est visible au premier degré, vraiment insoutenables. Certaines me poursuivront toute ma vie. Mais (au risque de me répéter) il faut absolument continuer à réaliser, diffuser et regarder ces témoignages. Il y a une grande tradition de la photo de guerre en noir/blanc qui, dans certains cas, « adoucit » les brutalités, en particulier la couleur du sang, qui n’a pas le même impact lorsqu’il se présente dans des niveaux de gris plutôt qu’en couleurs. Aujourd’hui, de plus en plus de reporters de guerre adoptent la couleur pour des tas de raisons, ne serait-ce que pour se « mesurer » à la télévision. C’est « de bonne guerre », si j’ose dire ;-) Mais j’ai toujours beaucoup d’admiration pour les photographes qui présentent des reportages en noir/blanc : cela reste pour moi une façon (non exclusive) de porter un regard plus concentré sur l’essentiel, car débarassé de sensationnalisme ou de détails qui détournent l’attention.
Bien plus qu’ailleurs, les photos présentées à Perpignan, sont très dépendantes de leurs légendes. Certaines images, quelques fois sous des dehors paisibles, prennent une dimension vertigineuse après la lecture du texte d’accompagnement. (D’ailleurs, avez-vous déjà essayé de comprendre les images de la rubrique « No Comment » sur Euronews ? Cela peut se révéler un jeu intéressant à pratiquer en famille !) Tout en essayant de ne pas enfoncer des portes ouvertes sur les relations texte/image... je dois dire que j’ai été frappé par le fait qu’à Visa pour l’Image, on passe souvent plus de temps à lire des légendes qu’à voir les photos qui s’y rapportent. Cela a une conséquence : les textes sont tellement prenants qu’on n’a presque plus le loisir de s’attarder sur les propriétés intrinsèques des photos. Même si celles-ci ont de véritables qualités esthétiques, l’information brute qu’elles contribuent à véhiculer mobilise toute l’attention. Cela atténue quelque peu le souci qu’évoquent certains (dont moi-même) que l’esthétisation de photos de guerre ne se fasse au détriment de la détresse qui y est évoquée. Mais tout n’est pas tout noir. Il y a heureusement des lueurs d’espoir bienvenues dans ce parcours. Par exemple, pour illustrer ce billet, j’ai trouvé amusant de juxtaposer 2 photos vues à Perpignan : un sujet semblable traité par 2 photographes différents, l’afghan Ahmad Masood et le russe Sergey Maximishin. Je reviendrai prochainement à ces deux-là... Je vous passe les détails des prix qui ont été décernés à Perpignan et qui ont déjà été relatés par de nombreux sites et journaux. Vous en apprendrez plus sur le site officiel de Visa pour l’Image (lien cassé). Mais, ce dernier n’étant pas un modèle d’ergonomie et de navigation, je vous recommande plutôt catacult.net, qui est bien plus convivial et plus complet. (Si non, essayez les moteurs de recherche... vous y retrouverez à des dizaines d’exemplaires, les sites qui copient/collent à la virgule près, tous les communiqués du programme officiel ;-)

Béat Brüsch, le 19 septembre 2007 à 22.45 h
Rubrique: Voir de ses yeux
Mots-clés: guerre , photographe , photojournalisme
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Les grands classiques

Les images paisibles d’enfants heureux sont légion. Il en est malheureusement beaucoup d’autres, mettant en scène des enfants victimes des pires atrocités. Celle de Kim Phuc, la petite Vietnamienne de 9 ans, est probablement celle qui a le plus fortement et le plus durablement marqué les mémoires. Le 8 juin 1972, le photographe Nick Ut est sur la route menant au village de Tran Bang, tenu depuis 3 jours par les troupes du Nord-Vietnam et assiégé par les Sud-Vietnamiens. La plupart des habitants du village ont déjà fui les lieux et se tiennent sur la route, à quelques kilomètres, dans l’espoir de retourner chez eux après la fin des combats. Alors que tout indiquait qu’il n’y avait plus un Nord-Vietnamien dans le village, l’armée sud-vietnamienne décide néanmoins de bombarder le village au napalm. Sur la route, aux avant-postes, se tient une petite armada de soldats, de photographes, cameramen et autres journalistes, tous dans l’attente du « spectacle » annoncé... (Qui a vu le film Apocalypse Now peut effectivement parler de « spectacle », même si cette désignation est terriblement ambigüe - c’est d’ailleurs une des clés du film, mais je m’égare !)
Sitôt après l’attaque, ces témoins « privilégiés » voient s’échapper et courir vers eux des rescapés, pour la plupart grièvement brûlés. Kim Phuc, la petite fille, est nue car elle s’est débarrassée de ses vêtements en feu. Tous crient atrocement. Après avoir dépassé les témoins, ils s’arrêtent enfin. Certains tentent maladroitement de leur venir en aide. Nick Ut, parlant le vietnamien, est le seul journaliste à pouvoir communiquer avec eux. Avec son chauffeur, dans son minibus maintenant bondé, il transporte Kim et des membres de sa famille vers un hôpital – à une heure de route – et insistera personnellement auprès du personnel médical pour que la petite soit prise en charge. (En temps de guerre, les hôpitaux, débordés, privilégient les soins aux personnes qui ont le plus de chances de s’en sortir. Et Kim ne faisait sans doute pas partie de cette catégorie.) Dans cet article (en anglais), Nick Ut se souvient de cette journée...
Kim Phuc, après 14 mois de soins et 17 opérations chirurgicales, s’en est sorti. Elle vit maintenant au Canada avec ses 2 enfants. Elle a été nommée Ambassadrice de Bonne Volonté (Goodwill Ambassador) de l’UNESCO en 1997. Nick Ut n’avait jamais raconté qu’il avait sauvé cette petite fille. Ce n’est que 28 ans plus tard que Kim Phuc, devant la reine d’Angleterre, a rapporté qu’il lui avait sauvé la vie.
La photo ne paraitra que le 12 juin dans le New York Times. Sa parution ne fut pas retardée par des problèmes techniques (on disposait déjà de moyens de transmission, à l’époque). Cela peut nous paraître surréaliste aujourd’hui, mais de très vives discussions se sont engagées entre rédacteurs pour savoir si on avait le droit de publier la photo d’une personne nue ! Finalement, entrevoyant tout de même l’importance de cette photo, il fut décidé de la publier, non sans obtenir la garantie de ne pas en faire un agrandissement. Il paraîtrait même que l’on a flouté légèrement la région pubienne de la petite fille.
Cette image a eu un grand impact et a prétendument permis d’accélérer la fin de la guerre du Vietnam. Il faut relativiser son importance dans ce cadre, ne serait-ce que parce qu’elle arrive à un moment où la fin de la guerre est en vue. Mais sa très grande force iconique vient de sa propagation. Elle a été utilisée, récupérée et décontextualisée par d’innombrables mouvements idéologiques, politiques ou religieux. Et ceci, dans les projets éditoriaux les plus divers. (Dans ce registre, Le Cri d’Edward Munch, n’a qu’à bien se tenir !) Ronald N. Timberlake, est un vétéran de la guerre du Vietnam et s’insurge de certaines dérives dans un texte largement diffusé sur internet : The Myth Of The Girl In The Photo.
La photo en haut de ce billet représente le cadrage de sa parution dans le NY Times. Très forte, dramatique et bien centrée sur le sujet. Mais on peut trouver d’autres cadrages, ainsi que d’autres photos de la scène qui racontent autant d’autres histoires. Par exemple, si on élargit le cadre, on voit à droite un photographe. Il s’agit de David Burnett, qui un instant plus tard, a saisi cette image : D’autres images encore, font voir l’armada de journalistes dont je parlais plus haut et pourraient raconter l’histoire d’une petite fille qui serait victime de l’acharnement de la presse et de sa passivité face à ses souffrances. (C’est le statut des photographes de guerre qui est en question ici. N’ayant jamais entendu siffler une balle ailleurs qu’au cinéma, je me garderai bien de donner une quelconque leçon...) Gerhard Paul, nous parle de cela et de bien d’autres aspects de cette image dans un essai passionnant sur l’authenticité, l’icônisation et la surmédiatisation d’une image de la guerre. Dans son article (en allemand) vous trouverez également tout un appareil de références, ainsi que certaines images pour le moins étonnantes. Nick Ut (de son vrai nom Huynh Cong Ut) est né en 1951 au Vietnam. À 16 ans il entre à l’agence Associated Press. Son frère ainé, Huynh Thanh My, photographe chez AP aussi, vient d’être tué. Il réside et travaille aujourd’hui à Los Angeles, toujours pour Associated Press. Le Prix Pulitzer lui a été remis pour cette photo en 1973. Aujourd’hui, 35 ans plus tard, il est célébré pour la photo pipole d’une richissime bécasse délurée... Il faut bien vivre ! Je dis cela sans mépris pour le photographe, car je comprends bien qu’on ne puisse pratiquer la photo de guerre pendant toute une vie. Mais je ne peux m’empêcher de me demander... : le raccourci saisissant entre ces 2 photos, à 35 ans de distance, nous donnerait-il la mesure du changement de nos exigences en matière de photo de presse ? Je ne veux pas le croire...

Béat Brüsch, le 15 août 2007 à 18.30 h
Rubrique: Les grands classiques
Mots-clés: guerre , peoples , photographe , photojournalisme , éthique
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