Mots d'images

Exposition

Le Musée de la communication de Berne (Suisse) présente l’exposition « Bilder, die Lügen - Images mensongères » consacrée aux manipulations d’images. De nombreux aspects sont traités. Ils se rangent en 3 grandes catégories :
• transformation de l’image (manipulation d’images existantes)
• la falsification du texte et du contexte (manipulation de l’interprétation)
• le mensonge à l’aide d’images réelles (images posées, mises en scène) La plupart des exemples présentés sont issus de la sphère germanique. Pour les francophones, les images tirées de l’actualité peuvent poser quelques problèmes, car nous n’avons pas tous les repères pour comprendre le contexte des affaires en question (et les contextes peuvent être importants !). Mais les explications écrites sont en général suffisantes pour y pallier et l’inconvénient est largement compensé par l’intérêt d’aller voir ailleurs comment ces sujets sont traités.
L’histoire récente de l’Allemagne tient une place de choix en nous remettant en mémoire des images problématiques sur le mythe du Führer, la prise du Reichstag par l’armée rouge, la « dénazification », les carnets d’Hitler, la guerre froide ou le culte du nazisme. Comme dans toute manifestation du genre, les grands classiques du stalinisme sont aussi de la partie. Quelques cas n’ont pas un rapport premier à l’image. Mais ils s’inscrivent dans un discours cohérent dont le propos est toujours de nous parler de manipulations.
L’exposition originale date de 1998. La version d’aujourd’hui a été actualisée avec de nombreuses affaires récentes. Celles-ci sont difficilement intégrables dans le fil original de l’expo. On les retrouve sous d’autres formes, dont des vidéos, contenant des extraits de journaux télévisés et/ou de documentaires. « Objectif », un petit magazine papier à disposition sur place reprend et résume ces cas.
Le but visé par l’exposition est de nous sensibiliser aux manipulations d’images. On ne peut que souscrire à cet objectif, car les facilités techniques offertes aujourd’hui ne vont pas dans le sens d’une diminution des interventions, que celles-ci soient inoffensives ou crapuleuses, naïves ou rusées. Mieux vaut développer un esprit critique envers les images plutôt que de rester convaincu de leur neutralité ou de leur objectivité. Le visiteur est ainsi amené à bien comprendre ce qu’on peut faire dire à une image, saisir les enjeux et les intentions qui sous-tendent une manipulation.
Allez-y en famille pour un cours inopiné d’instruction civique ! Vos ados, qui souvent ne s’intéressent pas à ce que vous jugez utile, seront bluffés. J’y ai vu des classes d’ados avec leurs enseignant-e-s. Ils semblaient très captivés par le sujet. Je m’étais procuré le livre/catalogue avant de me rendre à l’exposition. Connaissant donc un peu les sujets présentés, j’ai pu prendre le temps d’observer les visiteurs. De façon générale, on peut dire que l’intérêt est très soutenu. On perçoit de nombreuses remarques de stupéfaction. Souvent les gens sourient, ricanent, ou rient aux éclats de ce qu’ils découvrent. Je me suis quelques fois demandé s’il s’agissait d’un rire libérateur ou de connivence...
Nul n’est prophète en son pays : j’ai été étonné de ne pas trouver la moindre allusion à l’Allemand John Heartfield, qui utilisa le photomontage dès les années 20 pour ses travaux satyriques et dont je vous parlais ici. Cela aurait fait un beau contrepoint aux images de propagande nazies.
L’affaire Brian Walski, que je trouve exemplaire à bien des égards et dont j’avais traité ici, trouve sa place dans la partie actualisée de l’exposition. Le petit magazine « Objectif » titre cette affaire ainsi : « Inoffensif, mais pas tolérable ». Plus loin, il résume : « Le photographe Brian Walski manipule la vérité pour la rendre plus passionnante ». Voilà, parfaitement résumé en 2 phrases, ce que je disais dans mon (trop) long article !
La photo de Spencer Platt qui a remporté le World Press Photo Award 2007 figure dans l’exposition (et sur « Objectif ») avec une légende trop simple, qui n’a pas été réactualisée selon les derniers développements de son histoire. Pourtant, cela aurait été passionnant dans le contexte de l’exposition. Lire ici, en anglais, ce qu’en disent les protagonistes et et ici, les conclusions qu’on en tire sur Actualités de la recherche en histoire visuelle.
Je reviendrai probablement sur d’autres sujets que m’inspire cette exposition... Elle est visible jusqu’au 6 juillet 2008. Il s’agit de la reprise de l’exposition « Bilder die lügen » qui a été créée en 1998 à Bonn, puis montrée dans plusieurs villes allemandes. Elle a été réalisée par la Fondation de la Maison de l’Histoire de la République fédérale d’Allemagne en coopération avec le Centre fédéral pour l’éducation politique (Stiftung Haus der Geschichte der Bundesrepublik Deutschland - Bundeszentrale für politische Bildung). Pour l’occasion, les textes ont été traduits en français et en anglais (notre prochaine 2e langue nationale :-). Le livre-catalogue de l’exposition : 100 pages, richement illustrées, en allemand seulement, au prix de 25 francs suisses, est disponible ici. Il reprend toute la thématique de l’exposition originale, mais les actualisations n’y figurent pas. Il ne vous reste plus qu’à aller voir sur place !

Béat Brüsch, le 15 novembre 2007 à 11.35 h
Rubrique: Voir de ses yeux
Mots-clés: contexte , manipulation , photomontage , retouche
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112 photographes romands (sur les 115 membres de la section) sont menacés d’exclusion de l’association des Photographes professionnels Suisses (PpS). Le motif ? Les romands ne sont pas d’accord avec leurs collègues de Suisse allemande et du Tessin sur les filières de formation. Ils veulent conserver le statut de l’apprentissage alors que tous les autres voudraient supprimer cette formation. En Suisse, les formations professionnelles sont du ressort des associations faîtières professionnelles. L’Office fédéral de la formation et de la technologie (OFFT) ne fait, en général, qu’entériner ces décisions.
Le système de formation des photographes suisses repose actuellement sur 3 filières : l’apprentissage, l’École de photo de Vevey (CEPV), l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL).
- L’apprentissage, d’une durée de 4 ans, offre une formation pratique chez un patron, accompagnée de cours théoriques dans une école professionnelle. Note à l’attention de Nozamisfranssais : le principe de l’apprentissage est très prisé ici. Il jouit d’une tradition d’excellence pour de nombreux métiers. Il débouche sur le convoité CFC (Certificat Fédéral de Capacité).
- L’École de Photo de Vevey (CEPV), offre une formation de base en école (EAA), d’une durée de 4 ans, donnant droit au CFC. Cette formation peut-être prolongée de 2 ans afin d’obtenir le titre de Photographe diplômé-e ESAA.
- L’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) est une Haute École Spécialisée (HES) dont les différentes filières du Département Communication Visuelle mènent, en 3 ans, au diplôme de designer HES (dès 2009 : Bachelor of Arts HES-SO). Vous suivez toujours...? Les apprentis de Suisse romande, et ils sont nombreux, bénéficient des cours théoriques de l’École de Vevey. En Suisse allemande, ils se rendent à la Berufsschule für Gestaltung de Zürich. Mais, allez savoir pourquoi, la filière de l’apprentissage de photographe est plutôt délaissée chez nos amis d’outre Sarine. Haha... voilà un problème !
Seuls au monde, ou presque [1], les photographes alémaniques décident donc de supprimer cette filière et de la remplacer par... une formation complémentaire (Weiterbildung). Leur argument est que le métier est de plus en plus complexe et exigeant et qu’il nécessite donc une formation poussée. On ne peut qu’être d’accord avec cette affirmation, qui tient d’ailleurs du lieu commun, quelle que soit la profession dont on parle. Ce qui est incompréhensible et illogique, c’est que l’on veuille supprimer une formation de base pour n’offrir plus qu’une formation complémentaire. Mais complémentaire à quoi ? Cette formation approfondie sera dispensée à la Berufsschule für Gestaltung de Zürich, en 6 semestres. Les candidats y seront admis après un CFC en graphisme, webdesign ou autre. Pour le dire plus crument : on va obliger les candidats à « glander » pendant quelques années dans une activité éloignée de leurs aspirations et dont ils n’auront peut-être pas grand-chose à battre. Bonjour la démotivation ! Certes, certes, cela permettra de « faire ses humanités » avant d’aborder le difficile métier de photographe. Mais cela tranche un peu avec les visées contemporaines des milieux économico-politiques exigeant une rapide orientation vers des savoirs « utiles » professionnellement.
Que va-t-il advenir du CFC dispensé actuellement par le CEPV de Vevey, dont le cursus pourtant éprouvé, ne correspond pas à ce nouveau diplôme proposé à Zürich ? Je ne peux m’empêcher, ici, de penser aux joueurs qui changent les règles du jeu pendant la partie. fineVu de Suisse romande (je parle pour moi, mais je crois mon sentiment bien partagé) tout cela ressemble à une opération de « recentrage » de la sphère photographique suisse. Avec les 2 filières internationalement reconnues du CEPV de Vevey et de l’ECAL de Lausanne, ainsi qu’avec le Musée de l’Élysée, la photo est plutôt bien en vue en Suisse romande. La prestigieuse Fondation suisse pour la photographie (Fotostiftung Schweiz) située à Winterthur, en Suisse alémanique, ne suffit peut-être pas à certains...? Soit. Mais si ce n’est qu’une bataille de clocher, pourquoi la profession doit-elle, en plus, se tirer une balle dans le pied ?


Liens utiles :
Site de l’association des Photographes professionnels Suisses (PpS)
Site de l’École de Photo de Vevey (CEPV)
Site de l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL)
Site de la Berufsschule für Gestaltung de Zürich


Articles de presse :
• « Il faut défendre les photographes romands ! » Interview d’Anne-Catherine Lyon, conseillère d’État vaudoise en charge de l’éducation. © Magazine L’Illustré du 7 novembre 2007 (v. fichier joint ci-dessous)
Les apprentis photographes romands refusent de mourir Patrice Favre © La Liberté, lundi 5 novembre 2007
• Fronde contre la suppression de l’apprentissage de photographe (lien cassé) Luc Debraine © Le Temps, samedi 15 septembre 2007
• Le bras de fer se durcit autour du CFC de photographe (lien cassé) Raphaël Delessert © 24 Heures, samedi 15 septembre 2007


Ajout du 21.11.07 :
La suppression du CFC de photographe - d’après certains indices, ça sent le sapin ! - énerve profondément La Dame. Elle s’en explique dans ce billet, ici<.

Notes:

[1] Un vote des délégués a clairement fait apparaître un clivage entre Romands et Alémaniques. Ces derniers, plus nombreux, l’ont emporté.


1 fichier joint:
Interview d'Anne-Catherine Lyon - L’Illustré du 7 novembre 2007 (PDF 145.9 ko)

Béat Brüsch, le 9 novembre 2007 à 00.35 h
Rubrique: Les nouvelles images
Mots-clés: formation
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Pub magazine pour une carte de crédit : « Carouge, 14:23. Elle désire, je promets, j’offre, elle n’en croit pas ses yeux. »
Moi non plus, je n’en crois pas mes yeux : ils ont un clocher comme ça, à Carouge ? Ne serait-ce pas plutôt à Zürich qu’on en trouve un pareil ? Voici une image du Grossmünster de Zürich prise depuis presque le même emplacement.
Carouge est une charmante petite ville jouxtant celle de Genève. Les Genevois aiment bien s’y rendre pour ses boutiques à la mode, ses bistrots et pour l’ambiance sympathique qui y règne. Zürich est sûrement très sympathique aussi. Mais c’est tellement loin (au moins 280 km d’autoroute !) Les romands se contenteront donc d’une adaptation de la pub zürichoise. Ils n’y verront que du feu. Et les Carougeois apprécieront. Voici la même annonce « localisée » à Zürich.
Bien sûr, il faut relativiser la gravité de cette substitution d’image. Ce n’est pas la guerre et il n’y a pas catastrophe nationale. Il ne s’agit que d’une pub. N’empêche que cela illustre parfaitement le malaise que ressentent les romands vis-à-vis de Zürich. Nous en parlions dans le commentaire de cet article, ci-dessous. Je me cite : « ... Les plus grandes agences de pub sont à Zürich, capitale économique conquérante, passablement arrogante, un peu branchouille, et surtout, de culture suisse allemande. Ce dernier point n’est pas une tare, mais c’est une différence ! La manière de s’adresser aux gens, l’humour, les connivences, etc, ne sont pas les mêmes qu’ici... » Faut-il ajouter que les images non plus, ne peuvent se substituer ?
J’ai flouté la raison sociale de la banque, on ne va pas lui faire de la pub en plus ! Quant à l’agence de pub, c’est par pure charité que je ne la cite pas.

Béat Brüsch, le 1er novembre 2007 à 22.15 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: publicité , société
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Après les enfants trop sages (de Loretta Lux), parlons des adultes pas sages. Le site de parodies de couvertures de Martine fait un malheur. Passer de 8 visiteurs par jour, à plus de 70’000 en moins de 10 jours, c’est ce qui s’appelle un succès. Même l’auteur de la blague n’en revient pas. Martine, c’est la petite héroïne de livres pour la jeunesse qui a fait rêver bien des petites filles (qui n’en sont plus aujourd’hui). Comme l’explique David Abiker sur son blogue : « ... le succès de cette Martine-là sur la toile correspond, je crois, à un besoin de transgression qui ne s’exprime plus en surface. Je le perçois comme une volonté de se réapproprier non pas les territoires de l’enfance façon adulescent mais au contraire d’envoyer à l’époque de l’enfant est roi une sorte de rappel à l’ordre. Martine qui aime la bite c’est la blague d’un adulte qui saute à pieds joints dans une flaque d’eau pour provoquer un rire sain et suggérer que les temps qui courent sentent un peu trop la fraise Tagada. » Sur cette page l’auteur raconte son aventure. Il se pose des questions sur la légalité de sa parodie... Questions intéressantes, auxquelles il n’y aura probablement pas de réponses, car je vois mal un éditeur refuser une si soudaine et gratuite publicité ! En cette période à l’actualité plutôt pesante, c’est à un bon rire libérateur que nous invitent ces nouvelles Martine.
Voici quelques sites qui parlent de Martine : Blog de David Abiker, Ecrans.fr (Libération), La Boîte à images, 20 Minutes... Gageons que ce ne seront pas les derniers...
Mise à jour du 19.11.07 : A la demande de Casterman, l’éditeur de Martine, le site le plus poilant de l’année a fermé. Dommage. Voir l’article d’écrans... et ce qu’en dit l’auteur du site.

Béat Brüsch, le 26 octobre 2007 à 16.55 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: société
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On ne peut rester indifférent aux portraits d’enfants de Loretta Lux. Loin des conventions du genre, reposant sur la tendresse et la joliesse, ses images inquiètent. Il s’en dégage une mélancolie froide qui bouscule nos attentes. Les enfants ont le teint blême. Leur regard est ailleurs. Ils ne sont ni gais ni tristes. Trop sages. Leurs habits d’un autre âge sont comme empesés. Leur tête ou leurs yeux légèrement agrandis semblent disproportionnés. Leurs corps sont littéralement posés dans des décors inhabités et trop grands pour eux.
Au-delà de leurs oripeaux et par leur singularité, ces enfants nous touchent. Leur représentation presque désincarnée nous les fait percevoir comme des métaphores ingénues d’un paradis perdu. Mais c’est bien à nous que s’adresse leur regard. Il nous questionne. Peut-être juste un peu plus gravement que les vrais enfants...


Loretta Lux a une formation de peintre et le revendique. Ses subtiles références à la peinture (en particulier celle de la renaissance) en témoignent. Même si elle utilise parfois des paysages peints en guise de décors, sa démarche s’inscrit pleinement dans une mouvance qui intègre et tire parti des outils numériques. Pour moi, les techniques ne sont pas anodines et contribuent à façonner la vision. Si ces enfants étaient représentés en peinture, ils ne nous toucheraient pas avec la même force. Mais, un peu comme pour désamorcer cet indice de « vérité », l’utilisation des procédés numériques est immédiatement soulignée pour en montrer les limites. Les silhouettes des enfants sont découpées de façon trop nette pour se fondre naturellement dans leur environnement. Les textures des divers éléments entrant dans la composition sont laissées dans leurs dissemblances d’origine. Les éléments rapportés dans le décor ne provoquent que peu ou pas d’ombres (ce qui les intègre mal). Quand on voit, par ailleurs, la virtuosité de Loretta Lux, on ne peut qu’en déduire que ces « imperfections » sont voulues. Ces artifices de montage, qui ne sont pas totalement gommés, contribuent à créer une atmosphère particulière où l’irréel le dispute à l’objectivité. Un peu comme au théâtre, lorsque vibrent les sentiments en même temps qu’on voit les ficelles du décor.


Ces détails de facture sont invisibles dans la version grossière que nous offrent les petites images diffusables sur internet. Comme toujours, rien ne vaut une visite dans les musées et les galeries (ou la consultation de livres d’art bien réalisés).
Le musée de l’Élysée à Lausanne (Suisse) présente une exposition très étendue des oeuvres de Loretta Lux (jusqu’au 4 novembre) (lien cassé). La muséographie est particulièrement soignée. L’accrochage, très sage, sur des murs aux tons pastel, respecte l’esprit méticuleux des oeuvres. Loretta Lux est née en 1969 à Dresde, en Ex-Allemagne de l’Est. Elle a 20 ans quand elle part étudier la peinture à Munich, juste avant la chute du mur de Berlin. Depuis, elle a reçu de multiples récompenses internationales et ses oeuvres sont visibles dans de nombreux musées. Depuis 2003 elle est représentée par la galerie Yossi Milo à New York. Le site de Loretta Lux est à visiter pour avoir une vue d’ensemble et pour apprécier la cohérence de sa démarche.

Béat Brüsch, le 23 octobre 2007 à 11.25 h
Rubrique: Voir de ses yeux
Mots-clés: musée , métaphore , peinture , photomontage
Commentaires: 1
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