Mots d'images


Sérendipité [1] ordinaire : j’ai été remis en présence de cette photo et elle m’interpelle. Le personnage central est le Général Guisan, chef de l’armée suisse durant la 2e guerre mondiale et grande figure nationale. En ces temps troublés, l’armée était chargée (entre autres) de surveiller la presse et l’information afin de maintenir l’esprit combatif de la population. Le Général incarnait cet esprit et ses photos n’échappaient donc pas à la censure. Cette photo fut interdite de publication : « Trop proche du peuple » déclara l’État-major personnel du général le 20 avril 1944.

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Crédits : Max Widmer / Archives fédérales suisses, Inv. E 4450/740. D’après un article du magazine « Objectif » de l’exposition Images mensongères à Berne.

La photo, mais surtout le motif de censure, fait immédiatement penser à la photo officielle du Conseil Fédéral de cette année (ci-dessous). Quel chemin parcouru ! Aujourd’hui, pour gouverner, il faut se mêler au peuple, il faut prendre son bain de foule régulièrement (enfin, surtout s’il y a des caméras).
Mais qu’est-ce qui pouvait bien déranger dans cette photo ? On a dû penser que la dignité d’un chef souffrirait de le voir ainsi mêlé au peuple. Le protocole et les conventions de l’époque exigeaient une certaine distance, voire une raideur toute militaire. Mais peut-être a t’on juste trouvé que la photo était « mauvaise », ce qui n’est pas forcément de la censure. En effet, les enfants du premier plan, vus de dos, et flous de surcroit, ont peut-être indisposé un esthète du département militaire ? Aujourd’hui, on jugerait ces éléments plutôt comme un témoignage de la spontanéité du moment pris sur le vif. Mais un militaire n’a que faire de la spontanéité et du « désordre » que cela laisse sous-entendre. On veut bien des photos avec des gens, mais sous contrôle et bien alignés. Tiens, finalement les choses n’ont peut-être pas tellement changé... la foule de la photo officielle du Conseil Fédéral elle aussi, est bien alignée. Elle a même dû poser pour y arriver. Autres temps, autres moeurs ? Pas si sûr...

Notes:

[1] Sérendipité. Contrairement à ce que prône J.-F. Kahn, je me plais à utiliser un mot rare et à courir le risque de ne pas être compris par certaines catégories de gens. Allez, pour cette fois, je vous aide : voici la définition qu’en donne le garde-mots.
Interview de J.-F. Kahn, Le Monde, 05.01.08 (page 1) : « Il faudrait donc appauvrir son vocabulaire et ses références ? J.-F. K : Oui, car beaucoup de gens de moins de 40 ans n’ont plus les références d’avant. Je reçois des lettres de lecteurs qui me disent qu’ils ne comprennent pas tout ce que j’écris. J’avais parlé du boulangisme, en référence au général Boulanger, ils pensaient que j’évoquais un pâtissier. J’ai écrit : “C’est une division du monde à la Yalta.” Mais qui sait encore ce qu’est Yalta ? Je suis catastrophé que les jeunes ne connaissent plus l’histoire, mais il faut bien en tenir compte. Les journalistes sont furieux qu’on leur dise cela. Mais on ne doit pas faire comme les marxistes qui décrivent la réalité comme ils voudraient qu’elle soit, il faut s’adapter à elle. »

Béat Brüsch, le 14 janvier 2008 à 16.25 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: dispositif , peoples , société
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Le Conseil fédéral se mèle au peuple, mais le peuple regarde ailleurs. Pour sa nouvelle photo officielle, le Conseil fédéral devient audacieux. Nous voici très loin des clichés de gouvernants posant gravement devant une bibliothèque et des drapeaux (suivez mon regard - lien hyperconceptuel ;-). Le concept de la photo officielle est traditionnellement de la responsabilité du nouveau président (cette fois, Monsieur Pascal Couchepin, élu pour une année). Comme je le montrais dans ce billet sur le même sujet, cela est l’occasion pour le président, d’imprimer sa marque. Ses attributions, il faut bien le reconnaître, ne vont guère au-delà de ce rôle de représentation. Mais, dans ce monde d’images et de communication tous azimuts, la représentation reste une donnée forte en politique.

Passer la souris sur l’image pour repérer les bonnes têtes ! De gauche à droite : la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger, la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey, le Président de la Confédération Pascal Couchepin, le conseiller fédéral Samuel Schmid, la conseillère fédérale Doris Leuthard, le conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz (vice-président), la chancelière de la Confédération Corina Casanova.
Cette image n’est pas le résultat d’une prise de vue spontanée dans un véritable bain de foule. Tout a été posé et mûrement réfléchi. Les auteurs, Béatrice Devènes et Dominic Büttner de l’agence Pixsil, nous présentent ici le making of de leur travail. On peut remarquer sur la photo que seuls les membres du Consei fédéral regardent l’objectif. Dans un premier temps, constatant le regard absent des figurants, j’ai cru être en présence d’un photomontage... On peut pourtant comprendre ce choix, en partant de l’idée qu’il fallait bien que les conseillers se distinguent un peu des autres personnages ! Mais on ne pourra pas s’empêcher de remarquer le regard fuyant de ces Suisses qui regardent ailleurs et ne se sentent pas concernés.
Ces quelques réserves faites, reconnaissons tout de même l’originalité de cette approche. Après l’éviction du loup de la bergerie, un vent d’audace soufflerait-il sur la politique suisse ? Espérons que cela ne soit pas qu’un effet d’image...


Addenda du 02.01.08 à 18.30h :

Interview de Béatrice Devènes, une des auteures de la photo, sur RSR>La 1ère>Médialogues le 02.01.08. Durée 11’53.

© CC - Radio Suisse Romande

Béat Brüsch, le 1er janvier 2008 à 14.40 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: dispositif , peoples , société
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Non, il ne s’agit pas d’un nouveau caprice dû aux bouleversements climatiques. Je veux parler des marronniers qui fleurissent dans la presse en périodes creuses. Et que font les blogs en pareille circonstance ? Je crois que beaucoup de ceux qui restent actifs n’ont pas d’autres choix. Voici donc mon marronnier pour la fin de l’année : la revue des rétrospectives de photos de l’année 2007.
Je ne m’intéresse ici qu’aux rétrospectives mettant la photo au centre de leur approche et je ne prétends pas à l’exhaustivité... Et tout cela nous change un peu des bêtisiers.
Magnum nous présente un beau diaporama un peu en retrait de l’agitation du monde. On y retrouve d’émouvants portraits de ceux qui nous ont quittés dans l’année écoulée. (Si vous survolez la petite flèche en bas de l’image vous arrêterez momentanément la progression du diaporama, le temps de lire la légende qui se révèle alors.)
• (lien cassé) Le magazine l’Express ne propose pas moins de 7 portfolios à l’enseigne de « L’année 2007 en images ». Petit pèlerinage obligé à la rubrique « Ils nous ont quittés en 2007 ». 35 images quand même :-(
La revue de l’année des photos de Reuters (106 images). Toujours très classe. La recherche esthétique domine, même pour les situations dramatiques. Mais cela peut se comprendre dans le cadre d’une sélection.
Le Monde 2 publie un portfolio de 12 images sur les catastrophes climatiques de 2007. Il y a d’autres portfolios en ligne, mais ils ne correspondent pas aux critères retenus pour cette petite revue.
L’année très américaine vue par Times en 48 images (assez lent - pages surchargées).
La revue de MSNBC. Présentation américano-étasunienne avec beaucoup de pathos. Quelques images spectaculaires. Une section sports et une autre consacrée aux images du cosmos. Attention, il y a du son ! On peut se demander si on ne cherche pas par là, à faire passer des photos pour de la télé, histoire de retenir un public peu habitué à regarder des images immobiles avec des légendes à lire ?
• Si vous en voulez encore, visionnez un diaporama géant sur flickr en choisissant, par exemple, tous les « interestingness » de 2007 ! Amusant.

Béat Brüsch, le 30 décembre 2007 à 18.50 h
Rubrique: Regarder en ligne
Mots-clés: agence , médias , photojournalisme
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Je vous souhaite un bel envol vers la nouvelle année. Que celle-ci soit pleine de belles images et vous permette de réaliser toutes vos bonnes résolutions. De mon côté - pour ce centième billet - je prends celle de trouver enfin le temps nécessaire pour faire évoluer ce blog vers des technologies plus appropriées...

Béat Brüsch, le 26 décembre 2007 à 18.40 h
Rubrique: Divers
Mots-clés: illustration
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Images mensongères

Dans un précédent billet, je vous parlais des images d’actualités détournées par Matthias Wähner. Je me demandais à quoi ressemblerait un exercice similaire aujourd’hui, alors que les moyens de production et de diffusion des images sont bien différents. De fait, il ne se passe pas un jour sur internet sans que des plaisantins s’amusent à bidouiller des images d’actualité. En général on reste dans le registre satyrique. Le résultat peut être désopilant et fort à propos (rarement), mais il peut aussi se révéler naïf, maladroit ou de goût douteux (on peut cumuler !). Il y a des sites entièrement dédiés à cette activité. Mais l’histoire qui suit est assez exemplaire de ce qu’internet peut engendrer dans ce domaine. Peu de jours après le crash du 11 septembre 2001, cette photo a énormément circulé sur internet et a été vue par des millions de personnes. On y voyait un touriste innocemment photographié sur une terrasse du World Trade Center alors qu’un avion allait percuter la tour dans la seconde suivante. L’appareil photo contenant le cliché aurait été retrouvé dans les décombres... Il s’agissait d’un faux. Mais point de démarche artistique, éducative ou sociale dans cette photo. Juste un peu d’humour noir. Son auteur, le hongrois Peter Guzli, voulait faire un gag à ses amis et c’est « à l’insu de son plein gré » que son image a été rapidement diffusée dans la webosphère. Il y avait peu de blogs en ce temps-là et Flickr n’existait pas encore. C’est donc principalement par e-mail et sur des forums qu’a circulé la photo. Et c’est tout aussi rapidement, que les sceptiques ont noté un faisceau d’invraisemblances, jetant le discrédit sur l’image.
Comment cette image a-t-elle pu s’imposer ? Pour qu’un canular, une rumeur, ou une légende urbaine puisse l’emporter il faut un terrain favorable et celui-ci l’était largement. Dans les jours et les semaines qui ont suivi les attentats, la population américaine et le reste du monde ont été complètement choqués. Des milliers de photos et de vidéos ont été vues, quasiment en boucle. Il y eut une surenchère d’images à couper le souffle et de témoignages déchirants de victimes et de survivants. Dans cette atmosphère de grande émotion, l’image a trouvé son public le plus naturellement du monde. Le sens critique s’est trouvé comme paralysé par la démesure des images qu’on avait déjà vues. La diffusion virale a fait le reste : l’image étant forte, elle a plu et fut reprise et diffusée exponentiellement sans même que les diffuseurs ne s’en rendent compte.
Ce qui se passe ensuite n’est pas moins intéressant et ressort de ce que j’appelle « la santé » du web. Une fois découvert, l’auteur du bidouillage fut affublé de plusieurs surnoms, dont celui de « Tourist Guy » et de « Tourist of Death ». Il fut remis en scène de très nombreuses fois par la communauté des internautes, trop contente de montrer ses compétences en matière de bidouillages. On retrouve ainsi notre touriste dans les situations les plus diverses, en général impliqué dans des catastrophes, qui vont de l’assassinat de Kennedy à l’explosion du Hindenbourg, en passant par le naufrage du Titanic ! Cet esprit d’à-propos et cette réactivité sont une caractéristique majeure de l’internet. Faut-il en conclure que les internautes sont des gens plus dégourdis que les autres ? Bien que différentes études statistiques aillent dans ce sens, je ne m’aventurerai pas sur ce terrain un peu glissant... mais on pourra deviner que la thèse me séduit :-)) D’autres évidemment, ne manqueront pas de fustiger à nouveau cet internet qui décidément ne respecte rien ! De nombreux sites parlent de cette affaire qui fait désormais partie du folklore du net. Le site touristofdeath.com y est exclusivement consacré. Il se fait fort de proposer dans sa galerie un archivage de ces images recueillies avant qu’elles ne disparaissent de la mémoire des serveurs. L’ennui, c’est qu’à l’heure où je publie, sa base de données est en panne ! On touche là à une autre caractéristique d’internet : rien n’y est moins permanent qu’une archive ! Mais Google veille au grain : il m’a permis de retrouver plus d’une 50aine d’images. Prises isolément, elles sont d’un faible intérêt. C’est l’ensemble qui est fascinant. En voici tout de même 2 dont la malice m’a plu, car elles mettent en jeu des images préalablement altérées (Forrest Gump de Robert Zemeckis - Retouche d’image de bombardement à Beyrouth).


Addenda du 16.01.08 : La base de données qui alimente la galerie recueillant tous les avatars du Tourist Guy est maintenant réparée. Et c’est hénaurme ! Il y a aujourd’hui 1334 images en ligne. Voici le lien direct vers la galerie. (Si vous surfez depuis le bureau, pensez à reprendre votre travail de temps en temps :-)

Béat Brüsch, le 16 décembre 2007 à 17.40 h
Rubrique: Les nouvelles images
Mots-clés: amateur , blogosphère , retouche , viralité
Commentaires: 0
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