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Les lacustres

On nous a menti, les lacustres c’est du pipeau, ça n’existait pas ! Du moins, ce n’était pas comme on nous l’a dit et surtout pas comme on nous l’a montré à travers l’imagerie développée autour de cette civilisation. On le sait depuis un moment, mais la force et la séduction de ces images idylliques est tenace. Pour l’attester, le musée du Laténium à Neuchâtel (Suisse) a mis sur pied une exposition : L’imaginaire lacustre - visions d’une civilisation engloutie.


Tout commence en 1854, au bord du lac de Zürich, lorsqu’on met à jour des alignements de pieux de bois plantés dans le lac ainsi que de grandes quantités de matériaux bizarres en os, en pierre, en terre cuite et en bois de cerf. Ferdinand Keller est le président de la Société des Antiquaires de Zürich et identifie rapidement ces découvertes comme des vestiges préhistoriques. Dans une grande frénésie, les collègues qu’il a alertés retrouvent le même type de gisements autour d’autres lacs suisses. La découverte est stupéfiante et Keller publie la même année un long rapport dans lequel il propose une interprétation audacieuse de ces trouvailles : il s’agirait de vestiges de villages érigés au-dessus de l’eau. La « civilisation lacustre » était née et la nouvelle fut accueillie avec enthousiasme par la communauté savante et les élites intellectuelles et bourgeoises.

La fascination qu’exerça la « théorie lacustre » sur les archéologues de l’époque tenait bien sûr à ce qu’elle semblait fondée. Des prédispositions psychologiques et romantiques firent le reste en mettant en branle tout un imaginaire évoquant, entre autres, les mondes engloutis de l’Atlantide ou de la cité d’Ys en Bretagne. Mais les éléments décisifs furent apportés par le contexte politique et idéologique du moment. La Suisse sortait d’une période troublée de révolutions et de guerre civile (Sonderbund). En 1848, une nouvelle constitution démocrate et progressiste voit le jour. Après des bouleversements déstabilisants et face aux menaces de ses voisins, l’état se cherche une nouvelle cohésion nationale, car les mythes fondateurs traditionnels (Guillaume Tell, etc) ne tiennent plus. Ces « nouveaux » ancêtres tombent à pic pour construire une nouvelle identité nationale. La société agricole et artisanale de ces lacustres apparait comme une communauté parfaite : égalitaire, laborieuse et pacifique. Comme une île au milieu des tourments du monde, le village isolé au-dessus de l’eau, à l’abri du danger, constitue une parfaite métaphore du « Sonderfal suissel » (pour beaucoup, ce credo tient toujours ;-) La violence existentielle que l’on prêtait aux habitants de la préhistoire fait place à une société beaucoup plus harmonieuse, beaucoup plus présentable. De se savoir les descendants millénaires d’un si beau modèle de civilisation valorise les Suisses et les conforte dans l’image particulière qu’ils se font d’eux-mêmes.

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Première représentation de lacustres
Proposition de reconstitution de village lacustre (1854), par Ferdinand Keller - Laténium

L’imagerie apparait dès les premières publications sur les découvertes lacustres. Elle va tenir une place prépondérante dans la manifestation de tous les phénomènes liés aux lacustres. Ferdinand Keller lui-même, propose d’emblée une projection imagée de ce que pouvait (devait) être un village lacustre. Accompagné de schémas de relevés tout à fait précis et sérieux, son dessin de village lacustre donne l’impression qu’il résulte de la transposition exacte des observations de terrain. (On a découvert depuis, que son imagination avait été guidée par une gravure rapportée par Dumont d’Urville de retour de Nouvelle-Guinée.) Keller n’avait pourtant pas cherché à faire passer son dessin pour une réalité. Mais en tombant dans l’effervescence des premières prospections, cette illustration bénéficia d’une publicité extraordinaire et échappa littéralement à son auteur. Elle devint la référence incontournable munie d’un statut de vérité intangible. Il faut dire, à la décharge de Keller et de ses confrères, que ces découvertes sur la préhistoire étaient tellement inouïes qu’il était difficile de les mettre en perspective (un peu comme si nous découvrions des petits hommes verts à moins d’une année-lumière de chez nous !).

Dans les années qui suivent, les fouilles se poursuivent et de nombreux travaux sont publiés. Dès 1860, on remarque que les images - produites maintenant par des illustrateurs et non plus par les archéologues eux-mêmes - se distinguent de plus en plus du propos scientifique en se référant à des codes fixés dans les premiers dessins, devenus ainsi des standards immuables. À partir de là, le mythe des lacustres est bien établi et se perpétue à travers une imagerie d’Épinal. Mais on n’allait pas en rester là. Sous l’impulsion des archéologues, cette fois, il se créa de nombreuses maquettes à des échelles de plus en plus grandes, jusqu’aux reconstitutions en grandeur nature. Cette vogue des représentations en volume culmina lors de l’Exposition universelle de 1889 avec un village lacustre érigé au pied de la tour Eiffel. Ce village soigneusement réalisé éveilla un grand intérêt et fut à la base d’une consécration de la théorie lacustre auprès du public international.

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Village lacustre de l’âge de la Pierre
Auguste Bachelin (1867), huile sur toile (263 x 161 cm). Musée national suisse, Zurich .

Les beaux-arts ne sont pas en reste. En cette fin de siècle, on voit s’épanouir une peinture historique reprenant à l’envi les thèmes lacustres. Souvent réalisées selon les directives des archéologues, les oeuvres de peintres reconnus par leurs contemporains renforcent encore la légitimité scientifique. Elles donnent de l’épaisseur à des scènes qui sont ainsi bien plus vivantes que ne pouvaient l’être de petites gravures souvent maladroites. Ces toiles ont ouvert la voie à un florilège d’estampes, de calendriers, de romans, de livres scolaires et de livres pour la jeunesse. Par la diversité des supports utilisés, l’imagerie lacustre se diffuse ainsi dans toutes les couches de la population. Elle n’est plus réservée à des élites formées et devient une sorte de ciment social reliant toutes les catégories entre elles, chacune de ces catégories se réservant par ailleurs ses propres canaux. Ainsi, pendant que les almanachs se répandent jusque dans les chaumières les plus reculées, les citadins fréquentent les musées.

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Groupe lacustre de l’âge de la pierre
Figurants d’un cortège historique à Neuchâtel (1882) - Laténium

Dans l’entre-deux-guerres - patatras ! - la théorie lacustre commence à être remise en question. De nouvelles découvertes, ainsi que des études plus efficientes, concluent que les villages pallafitiques étaient en réalité bâtis sur la terre ferme. Les pilotis servaient surtout surélever les planchers pour les isoler de l’humidité et à se préserver des crues annuelles. D’autres disciplines scientifiques apportent aussi des précisions sur les variations du niveau des lacs sur le long terme et conduisent aux mêmes conclusions. Des conditions locales très diverses font toutefois qu’il n’y a pas de modèle idéal et qu’une grande variabilité se retrouve dans ces habitats. Dans les années 1970, la communauté scientifique fait clairement le deuil des théories lacustres.

Aujourd’hui, les musées et les publications tiennent naturellement compte de ces ajustements. Les villages sont maintenant représentés au bord de l’eau. Pour un public un peu distrait, ce n’est pas très différent de l’ancienne représentation et la confusion s’installe quelques fois. (Il est à remarquer que le nom n’a pas changé, on les appelle toujours Les lacustres !) Il est impossible de faire oublier un mythe construit sur une telle imagerie. Surtout s’il sert aussi bien la cause du repli identitaire qui marque toujours, consciemment ou non, la mentalité de nombreux confédérés. Tout le monde sait bien que Guillaume Tell est le héros d’une légende, mais tous les Suisses font semblant d’y croire, parce que « cela les arrange bien », parce que cela fait partie de leur identité. (J’en connais d’autres qui aiment à croire qu’une vierge s’est fait brûler vive sur un bucher parce qu’elle avait eu des acouphènes, mais je m’égare ;-) Un mythe échappe à toute vérité historique. Il ne peut rendre compte que d’un passé fantasmé au service de préoccupations du présent.

Chromo publicitaireComme on l’a vu, les images ont joué un rôle fondamental dans la constitution du mythe lacustre. Au 19e siècle, la fréquentation des images n’était - et de loin ! - pas aussi répandue que de nos jours. L’usage de la lithographie se démocratise et des publications en font de plus en plus usage. Mais les conditions et les effets de la diffusion en nombre des images sont encore largement ignorés des publicistes, qu’ils soient archéologues ou éditeurs. On ne peut donc accuser les archéologues de légèreté, car ils ignoraient tout de la puissance irrévocable des images. Le public, pas mieux préparé non plus, les a prises comme argent comptant. Au passage, on constate que bien avant l’usage de la photographie, on investissait nos attentes de vérité dans d’autres types d’images ;-)

Chromo publicitairePour la création du mythe, le terreau était favorable et les archéologues peu conscients de ce qu’ils semaient. Leurs trouvailles étaient tellement inattendues qu’il fallait bien qu’ils essaient de les représenter visuellement pour les tester. Dans le texte d’une publication, on peut éluder les parties obscures ou mal résolues sans que ce texte en souffre. La linéarité du texte permet d’en maitriser l’expression bien plus précisément que ne l’autorise une illustration dont tous les éléments apparaissent simultanément et que le spectateur peut relier selon ses attentes et sa subjectivité. Comme la nature, l’illustration a horreur du vide. Il est difficile d’y laisser des parties en blanc - comme les parties inexplorées des anciennes cartes de géographie - sous peine de nuire gravement au « fonctionnement » de l’image. Les parties inconnues sont donc remplacées par ce qui parait le plus vraisemblable. Et ce « vraisemblable » est une porte grande ouverte au contexte, à la normalité des usages, mais aussi aux attentes du moment. En regardant cet aspect des images, on en apprendra bien plus sur l’époque de leur réalisation que sur l’époque évoquée. « Passée par le prisme de la représentation artistique, l’image prend vie sous le regard du spectateur ; c’est même précisément ce regard extérieur qui lui donne vie. En somme, on peut dire qu’en donnant une forme concrète au passé, l’artiste perd le contrôle sur son image : celle-ci est en quelque sorte prisonnière des représentations imaginaires de ceux qui la contemplent. » [1]

L’exposition L’imaginaire lacustre - visions d’une civilisation engloutie se tient encore jusqu’au 7 juin 2009 au Laténium. Si vous ne connaissez pas le musée du Laténium, cette exposition est une bonne occasion de vous y rendre. À vrai dire, l’exposition temporaire ne tient pas une énorme place dans le cours de la collection permanente du musée. Elle permet toutefois de voir quelques peintures historiques et les originaux de nombreuses gravures. Le livre [2] édité à cette occasion me semble beaucoup plus complet, tant pour le texte que pour la généreuse iconographie. Je m’en suis d’ailleurs très largement inspiré pour vous livrer ce billet ;-)

Le Laténium est un musée passionnant à plus d’un titre. Il couvre pas moins de 500 siècles d’histoire ! Les périodes préhistoriques en constituent évidemment la partie la plus importante. Le musée est érigé au bord du Lac sur l’emplacement d’une fouille lacustre et à un jet de pierre de La Tène, lieu-dit qui a donné son nom à la période éponyme caractérisant le Second âge du fer. Architecture et muséographie s’y allient pour former un ensemble d’une grande cohérence. La visite se fait dans le sens chronologique inverse (comme dans les blogs !) et commence sur une pente douce, comme pour entrer dans les profondeurs du temps. De loin en loin, les murs portent les repères chiffrés des échelles du temps. Pour le dire simplement... c’est beau. Le lieu respire la sérénité et nous réconcilie un peu avec le temps du monde. Compter plus de 2 heures de visite sans les extérieurs. Les enfants ne sont pas oubliés, des postes ludiquo-interactifs émaillent le parcours. Le Laténium a obtenu le Prix du Musée du Conseil de l’Europe en 2003. Voir ici le site du Laténium.

Notes:

[1] ibid.

[2] Marc-Antoine Kaeser, 2008. Visions d’une civilisation engloutie : La représentation des villages lacustres, de 1854 à nos jours / Ansichten einer versunkenen Welt : Die Darstellung der Pfahlbaudörfer seit 1854. Bilingue, 160 pages, format 23 x 28.5 cm © Hauterive, Laténium / Zürich, Schweizerisches Landesmuseum. ISBN 2 - 9700394-2-2

On peut commander le livre (29 CHF) via e-mail depuis le site du Laténium. On le trouve aussi dans la liste des Publications sur le site des Musées Nationaux suisses. Pour l’obtenir, on se rendra à cette page où on vous indiquera également une adresse e-mail pour commander les ouvrages.
Je rappelle que nous sommes en 2009 et que les Musées Nationaux suisses sont probablement les derniers éditeurs qui n’ont pas de débouché vers une boutique en ligne. Les lacustres peuvent toujours ramer, c’est pas demain qu’on va mettre le feu au lac !

Béat Brüsch, le 9 mai 2009 à 01.29 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: histoire , musée , mythe , société
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Cela fait 3 ans que j’ai lancé ce blog. Je ne suis pas fan d’anniversaires, mais bon, pour une fois... d’autant que je suis toujours aussi étonné que ce blog existe encore. Par pur plaisir, comme je n’ai pas beaucoup de temps et que j’ai la tête ailleurs (rassurez-vous, je vais bien !) je vous ressers un ancien sujet. J’ai revu récemment les images de René Maltête - je ne sais plus où dans les nombreux fils rss que je consulte - et le bonheur rafraichissant qu’elles me procurent est toujours aussi vif ! Les revoici donc, dans un grand diaporama, sur le site tenu par son fils Robin.

Quand un photographe capture un sujet comme celui-ci, « il a fait sa journée » ! Oui bon, une bonne partie de ces photos sont fabriquées et mises en scène. Et alors ? Aujourd’hui je suis bon public et je ne veux pas le savoir. Ces images fonctionnent toujours aussi bien. Les situations cocasses qu’elles décrivent sont pleines d’une poésie tendre et naïve qui n’a plus cours aujourd’hui. Ah, nostalgie (soupir) !

Mon précédent billet sur René Maltête se trouve ici. Le diaporama est à voir ici.

Béat Brüsch, le 1er mai 2009 à 18.46 h
Rubrique: Regarder en ligne
Mots-clés: photographe
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Encore un débat sur des images (trop ?) photoshopées ! Ça en devient lassant. Je ne pensais pas en parler, mais, constatant que le sujet est toujours brûlant (2 posts en moins de 24h sur The Online Photographer !), j’ai envie encore une fois d’y mettre mon grain de sel.

L’histoire ? Un photographe danois, Klavs Bo Christensen, s’est vu refuser ses travaux par le jury du concours annuel de sa fédération de photo de presse (Pressefotographforbundet) au prétexte qu’elles étaient trop manipulées et s’éloignaient ainsi de la vérité [1]. Après avoir eu des doutes, le jury a demandé au photographe de lui soumettre ses fichiers RAW, afin de les confronter aux fichiers que le photographe a publiés.

Ce dernier point à lui seul, me pose déjà de gros problèmes. Comment un jury peut-il exiger de se poser en censeur de la « vérité » pour juger du rendu d’une scène à laquelle il n’a pas assisté ? C’est un peu le maître qui demande son cahier de brouillon à l’élève turbulent ! Sauf, qu’un photographe de presse est à priori un grand garçon (ou une grande fille), qui sait parfaitement ce qu’il fait, ce qu’il a vu et ce qu’il cherche à nous montrer. Dans les affaires de retouche, il faut distinguer celles dans lesquelles sont impliqués des postproducteurs (rédactions, éditeurs, etc) de celles où c’est l’auteur lui-même qui procède à des modifications. Les retouches faites par l’auteur - même si cela n’exclut pas la maladresse - sont le prolongement du travail de l’auteur. Elles doivent jouir d’une considération différente de celle qu’on réserve aux bidouilleurs habituels des arrières-salles de rédaction, qui le font presque toujours pour des raisons indéfendables.

On reproche à Klavs Bo Christensen d’avoir quelque peu forcé la saturation des couleurs et les contrastes de ses images prises à Haïti après un gros ouragan. On oublie bien souvent que les représentations photographiques ressortissent de conventions. Beaucoup de celles-ci sont le fruit de limitations techniques : noir/blanc, bougé, profondeur de champ, contraste, utilisation du flash en plein jour, et j’en passe. Beaucoup de transformations sont obtenues après coup, dans le « secret » des labos ou par des logiciels de traitement d’images et sont bien acceptées. Ce qui est étonnant en photo, c’est qu’on finit toujours par incorporer ces conventions stylistiques dans les gages de vérité que l’on prête aux photos ! Pensiez-vous que le monde était en noir/blanc avant les années 40 ? Non ? Mais c’est pourtant ce que nous montrent les photos et les films provenant de ces temps reculés !

© Klavs Bo Christensen
© Klavs Bo Christensen

Passer la souris pour voir avant/après

© Klavs Bo Christensen
© Klavs Bo Christensen

Passer la souris pour voir avant/après

© Klavs Bo Christensen
© Klavs Bo Christensen

Passer la souris pour voir avant/après

Les photographes savent bien que les fichiers RAW (fichiers bruts [2]) ne sont pas d’une très grande fidélité, en termes de rendu de l’atmosphère d’une scène. C’est même un fait constitutif du procédé, car le plus souvent, on règle les RAW de manière à ce que leur rendu soit le plus plat possible (le moins « manipulé » possible !), afin d’avoir toute latitude d’y apporter ses propres réglages avec la meilleure efficacité. D’exagérer le rendu des couleurs d’une image est une démarche aussi naturelle, de nos jours, qu’elle l’était à l’époque où l’on choisissait une pellicule plutôt qu’une autre, en fonction des sujets, de ses goûts ou de tout autre critère subjectif. C’est juste un peu (beaucoup !) plus efficace aujourd’hui. Et tant pis si cela dérange les habitudes visuelles de quelques grincheux. Les exagérations d’aujourd’hui sont peut-être les conventions de demain...

Les photographes de presse ne sont pas les scanners froids de la vérité vraie et objective que certains voudraient qu’ils fussent ! Ils sont aussi quelques fois des auteurs. Et ce peut être une bonne manière pour eux de « faire la différence » en ces temps difficiles.

Quant à ce jury, il me fait penser à ces fades experts venus du Cap Nord pour nous empêcher de fabriquer des fromages au lait cru ou des cervelas en peau de zébu !

Notes:

[1] Ne lisant pas le danois, j’interprète ce que propose la traduction robotique de Google...

[2] J’ai déjà parlé de cette interprétation des fichiers RAW ici. J’ai analysé certaines différences de perception entre l’oeil et la machine photographique et noté quelques tentatives de les atténuer dans mon billet sur le contraste local.

Béat Brüsch, le 9 avril 2009 à 18.22 h
Rubrique: A propos d’images
Mots-clés: esthétique , manipulation , photojournalisme , éthique
Commentaires: 16

Gilles Porte est tantôt directeur de la photographie, tantôt réalisateur et/ou scénariste pour de nombreux films courts ou longs. Avec Yolande Moreau il partage le César du Meilleur premier film en 2005 pour Quand la mère monte. Il photographie aussi des images qui ne bougent pas : « J’ai une fille de cinq ans et demi : Syrine. Dès sa première année scolaire, Syrine devait, avec les autres enfants de sa classe, constituer un cahier de « bonhommes ». Chaque mois, il fallait dessiner un personnage sur son cahier, sans aucune consigne particulière. Cela fait maintenant trois ans, que des « bonhommes » surgissent régulièrement sur les pages et se métamorphosent au cours du temps.... » La suite ici, sur les carnets que Gilles Porte a remplis de tous les « bonhommes » rencontrés autour du monde.

Béat Brüsch, le 6 avril 2009 à 16.06 h
Rubrique: Regarder en ligne
Mots-clés: dispositif , documentaire , photographe
Commentaires: 0

Rien n’arrête le progrès ! Les avancées récentes des technologies de recherche d’images par l’image ont rencontré celles de la reconnaissance faciale pour donner le jour à des champs d’application nouveaux qui, en plus d’afficher des résultats, opèrent des modifications de fichiers automatisées. Les moteurs de recherche d’images par l’image ont déjà été évoqués ici avec TinEye, mais d’autres sociétés travaillent sur le sujet. La reconnaissance faciale est utilisée depuis quelques années sur des caméras numériques et les mêmes technologies sont appliquées aujourd’hui sur des services en ligne. Une des sociétés actives dans ce domaine est sur le point de lancer un procédé remarquable de floutage facial : AnonymYou. De plus en plus de personnes sont soucieuses de leur anonymat ou de la maitrise de leur image. AnonymYou leur propose de rendre méconnaissables toutes les occurrences de portraits demandées. Le service, qui est actuellement en phase de test, en version beta privée, vise à devenir le 1er système d’anonymisation en ligne.

Toute personne, célèbre ou anonyme, a un droit absolu à disposer de son image. Le droit à l’image est de plus en plus pris au sérieux par les tribunaux dans le monde et les infractions peuvent coûter cher. Comme tout téléspectateur peut le vérifier chaque soir, le floutage de sujets sensibles est devenu une opération des plus banales. Elle n’a cependant rien d’automatique, car elle est toujours le résultat d’une décision prise dans les rédactions après une prudente pesée d’intérêts où les commerciaux le disputent aux légistes. Une partie de ces floutages sera bientôt prise en charge par des logiciels. Dans un premier temps, ce sont les portraits accessibles sur le web qui seront floutés. Chacun pourra faire partie d’une sorte de liste rouge pour accéder à un floutage automatique de ses apparitions sur internet.

Le service en ligne sera gratuit pour tout internaute individuel, après inscription et soumission d’un minimum de 5 portraits différents de soi. Les auteurs du logiciel tablent, pour l’instant, sur une efficacité de 85%, avec 10% de faux positifs (ce qui peut poser quelques problèmes !). AnonymYou sera également disponible sous forme de plug-in pour Firefox. Pour les pipole, une recherche bimodale (texte + image) sera mise en oeuvre. Considérant que les célébrités disposent déjà sur la toile d’une importante base d’images taguées à leur nom, AnonymYou intégrera ces données dans un nouvel algorithme atteignant une efficacité approchant les 98% et 1% de faux positifs. Ce service-là sera payant (on ne nous dit pas s’il sera calculé au prorata des portraits floutés ou selon d’autres conventions !).

Le principe de fonctionnement d’AnonymYou est simple : après leur soumission, les portraits sont analysés et convertis en une empreinte digitale composite qui est comparée aux index des principaux moteurs de recherche. Les images trouvées sont ensuite floutées à la volée sur de puissants serveurs (dont l’emplacement est tenu secret), puis elles sont réinjectées dans les bases de données d’où elles proviennent. Cette procédure à un grand avantage : il n’est pas nécessaire que ses promoteurs se constituent leur propre index avant de pouvoir prétendre à un minimum d’efficacité. Par contre, il faut obtenir la « collaboration » des moteurs de recherche visés. Google ayant déjà donné son accord - moyennant une exploitation des résultats dont le principe n’a pas été divulgué - les autres moteurs de recherche ne devraient pas refuser longtemps d’intégrer ce service. FaceBook, qui comme Google dispose déjà de son propre système de reconnaissance faciale, hésite encore à se rallier. Pourtant, en proposant ce service alternatif, ils pourraient faire face à de nombreuses critiques concernant des problèmes de protection de la sphère privée...

J’ai été invité à tester l’efficacité du système durant une semaine. Elle est assez redoutable pour les pipole et cela peut se comprendre vu la relative facilité de leur identification. Les stars de cinéma, de la TV et du showbiz en général obtiennent des résultats proches de 100%. Reste à savoir si elles tiennent vraiment à voir leur image disparaitre... (Quand on voit les dédommagements coquets obtenus par certain-e-s pour des photos publiées sans autorisation, on peut les comprendre ;-) Il n’en va pas de même pour les politiques, qui à part quelques notables, toujours bronzés et soucieux de leur image, obtiennent des résultats bien en dessous (env 70%) de celles des vraies stars, celles qui font rêver les foules. En ce qui me concerne, moi heureux anonyme, les résultats ont été encore bien moins performants. Mais je ne suis pas un bon exemple, je suis peu visible et ne suis même pas sur Facebook !

Dans une prochaine étape, en cours d’évaluation, un module AnonymYou2 sera intégré à une puce équipant les caméras d’une chaîne de télévision publique au Canada. Les informations sur la puce seront mises à jour en continu, afin que rien de ce qui est interdit ne puisse échapper au filtre. Cela introduira certes une distorsion de la concurrence avec les chaines commerciales, mais gageons que le législateur veillera à corriger ces effets, en attendant que toutes les chaines soient équipées. L’ultime étape à venir sera l’intégration de cette puce dans les appareils de prises de vues numériques. Elle sera mise à jour à chaque fois que la carte mémoire sera connectée à un ordinateur. Mais là il faudra patienter un peu, car les pourparlers avec les principaux fabricants d’APN et de portables viennent à peine de commencer. Ils achoppent pour l’instant sur la définition de standards acceptables, qualité indispensable à l’efficacité du système. (D’après certaines sources, il semblerait que les ingénieurs de Redmond se soient déjà inspirés des spécifications d’AnonymYoupour créer leurs propres « standards » !)

On peut bien sûr se demander si ce service est approprié et s’il n’engendrera pas de dérives malveillantes. Mais le droit à l’image étant ce qu’il est, il sera de plus en plus difficile d’échapper à une course technologique qui - une fois n’est pas coutume - va dans le sens du droit. On peut néanmoins pressentir que la pilule sera difficile à faire passer chez les photographes. Qui voudra encore d’appareils photo munis d’une « liste rouge » embarquée ? Les amateurs courront le risque de voir se flouter les portraits d’amis soucieux de la protection de leur sphère privée. Les professionnels - qui n’en demandaient pas tant - verront s’envoler une partie de leurs revenus par la grâce de quelques pipole sur « liste rouge », réservant quelques fois leur image à une élite de photographes dociles et triés sur le volet. On verra aussi qui est véritablement prêt à disparaitre des écrans... gageons qu’il y aura bien des hésitations !


Addenda du 2.04.2009:

Je tiens à rassurer les inquiets, les incrédules, les méfiants et autres dubitatifs, si ce billet a un petit goût de poisson... c’est qu’il a été rédigé un premier avril ;-)

Béat Brüsch, le 1er avril 2009 à 01.00 h
Rubrique: Les nouvelles images
Mots-clés: logiciel , technologie
Commentaires: 1
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